Dure saison pour les balletomanes : les adieux de danseurs du Ballet de l’Opéra rattrapés par la limite d’âge de 42 ans se succèdent. Cette année aura vu les départs d’Agnès Letestu, d’Isabelle Ciaravola, de Christophe Duquenne et enfin de l’étoile peut-être la plus emblématique de la maison, Nicolas Le Riche.

Curieusement, c’est peut-être le départ qui m’attriste le moins, car le rayonnement de ce grand danseur bien au-delà du monde du ballet laisse supposer que nous allons le revoir sur d’autres scènes très rapidement.

Albrecht dans Giselle en 2003

Hasard du calendrier, j’ai découvert Nicolas Le Riche sur scène un début de mois de juillet 2003, perturbé par une grève des intermittents. Pour fêter mon anniversaire, nous avions été voir Giselle. Quelle chance de découvrir ce ballet mythique avec ce qui était la plus belle distribution à l’époque : Laëtitia Pujol et Nicolas Le Riche. Ce que je retiens de cette représentation dix ans plus tard, c’est la modernité de l’Albrecht de Nicolas Le Riche : à aucun moment, on ne se disait que c’était une histoire du XIXème siècle, il y avait cette spontanéité et ce naturel dans l’interprétation qui lui permettent encore d’être à l’aise dans tous les registres du contemporain au classique. On devinait derrière le sublime danseur qui aimantait les regards dès qu’il entrait en scène un jeune homme presque timide et  très attachant.

Ces dernières années, sa présence se faisait finalement assez rare sur scène, souvent dans le cadre de programmes mixtes, privilégiant des pièces plus contemporaines et assez courtes. L’une de ses dernières incursions dans le territoire du pur danseur classique, il l’a faite à l’occasion des adieux de sa femme Clairemarie Osta dans l’Histoire de Manon, un moment où le bonheur de danser ensemble se mêlait au tragique de l’histoire.

Cette saison a encore été l’occasion de nouvelles créations : le ballet-installation quelque peu déroutant de Teshigawara cet automne ou Jean, le valet de Mlle Julie, l’adaptation de la pièce de Strindberg par Birgit Cullberg (mère de Mats Ek, un de ses chorégraphes fétiches). Il a aussi monté sa propre tournée, Itinérances, qui l’a conduit dans de petites salles en France. Une dernière année à cheval entre les ors de l’Opéra et la découverte d’une vie de saltimbanque.

On retrouve cette dichotomie dans la soirée d’adieux du 9 juillet avec sa billetterie pour le moins opaque mais néanmoins ouverte au monde avec une diffusion en direct dans quelques salles de cinéma parisien et surtout sur le web. Même si les spectateurs web ont été privés du duo extrait d’Appartement, marquant le retour de Sylvie Guillem sur la scène de l’opéra, il s’agit d’une initiative à saluer et qui mérite d’être renouvelée.

En tout cas, au vu de l’intensité palpable derrière mon écran d’ordinateur, on ose à peine imaginer quel grand moment cette soirée a du être en « live ». Le programme était conçu comme une rétrospective de la carrière du danseur : les années d’apprentissage, les rôles fondateurs, ses goûts personnels, son expérience de chorégraphe et enfin son rôle de leader du corps de ballet masculin. On avait l’impression de feuilleter la version dansée des ouvrages de la collection Ecrivains de toujours (L’Ecrivain par lui-même).

Curieusement, cette soirée d’adieux a très peu évoqué les grands classiques : tout au plus, le danseur ébauche-t-il quelques pas de ces rôles mythiques au son d’une ballade interprétée par Mathieu Chedid en début de programme. La première partie est empreinte de la touchante maladresse des débuts dans le monde du spectacle avec  un extrait des Forains de Roland Petit Nicolas Le Riche entouré d’élèves de l’Ecole de Danse joue les Monsieur Loyal pour présenter la variation du Tambour du Bal des Cadets, dansée avec beaucoup de cran par le jeune Francesco. Puis la scène du théâtre de fortune est investie par le corps de ballet de Raymonda paré de costumes fastueux, comme un hommage à la démesure de Noureev, avec la participation amicale (et réduite) des étoiles Dorothée Gilbert et Stéphane Bullion.

Changement de décor : le décor imaginé par Leon Bakst pour l’Après-Midi d’un Faune de Nijinski occupe la scène de Garnier. C’est au tour du trop rare Jérémie Bélingard de se glisser dans la peau du faune sensuel face à la nymphe Eve Grinsztajn sur le fond de cette œuvre d’art monumentale tant admirée par Nicolas Le Riche. Cette pièce qui m’avait légèrement ennuyée l’année dernière gagne à être vue en bénéficiant des gros plans sur les danseurs qui permettent d’apprécier la finesse et la précision de leur travail.

Il ne s’agit que d’une première partie, destinée à nous mettre en appétit pour la suite du programme, entièrement centrée sur la star de la soirée. En guise d’intermèdes pour permettre à notre héros de souffler, nous avons eu droit  à un petit discours en vers de Guillaume Gallienne et à un extrait du ballet Caligula sur lequel le dramaturge et le danseur chorégraphe ont collaboré. L’extrait de Caligula nous a permis d’admirer les lignes de Mathieu Ganio, superbe même quand on ne lui donne qu’à tenir une longe, et la forme resplendissante d’Audric Bezard en cette fin de saison.

Le Jeune Homme et la Mort (source Arte)

Dans le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit, Nicolas Le Riche démontre une énergie de « jeune homme », une fraîcheur intacte dans l’interprétation de cette œuvre majeure de son parcours. Il est idéalement accompagné par Eleonora Abbagnato, sa partenaire attitrée dans le répertoire de Roland Petit, femme fatale, incarnation arachnéenne de la mort. Sans doute le moment le plus fort de la soirée.

Avec Eleonora Abbagnato sur les toits de Paris

La soirée se conclut par le Boléro de Ravel version Maurice Béjart, comme un hymne à la danse masculine où l’ensemble du corps de ballet, incluant Karl Paquette et Josua Hoffalt redevenus l’espace d’une soirée simples demi-solistes, semble prêter allégeance à ce modèle incomparable qu’est Nicolas Le Riche.

Le Boléro (source Arte)

Quand on voit son aura, sa puissance physique qui semble à peine émoussée, on a du mal à imaginer qu’il quitte de si tôt les planches, et c’est ce qui fait qu’on n’est finalement pas si triste.

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