Une nouvelle saison commence, comme la précédente s’est achevée, sous le signe de l’Amérique. Après l’anthologie néo-classique proposée par les Etés de la Danse, réunissant entre autres le New York City Ballet, le Miami City Ballet et le Pacific Northwest Ballet, place au retour aux sources de la danse contemporaine avec la Martha Graham Dance Company invitée par Aurélie Dupont pour six dates sur la scène de l’Opéra Garnier. La troupe fondée par Martha Graham, la danseuse-chorégraphe qui a posé les bases techniques de la danse contemporaine à l’orée des années 30, peut se targuer d’être la plus ancienne compagnie de danse américaine avec 92 ans d’existence.

La soirée est introduite par Janet Eilber, la directrice artistique de la compagnie, qui donne un éclairage sur les œuvres présentées, une initiative bienvenue pour rentrer du bon pied dans la représentation.

Appalachian Spring

Avec Appalachian Spring, pièce de 1944 sur une composition commandée à Aaron Copland, Martha Graham chronique avec un humour teinté de bienveillance la vie quotidienne d’une communauté de pionniers américains, vue au travers d’un couple de jeunes mariés qui sont guidés dans leur installation par une pionnière, figure de liberté et d’émancipation, et un pasteur, tout imbu de son importance en tant que figure d’autorité, qui règne sur sa petite troupe de fidèles paroissiennes. Cette succession de saynètes a un petit côté muséal et ne parle plus forcément au spectateur de 2018. On a parfois l’impression d’être devant un film muet, face à cette danse minimaliste, où les bras, les mains et le haut du corps se voient dénués de toute utilité décorative ou lyrique. C’est quand le rythme musical s’accélère que l’on perçoit toute la complexité derrière l’épure, notamment dans les solos de l’épouse qui dessinent un joli portrait de femme comme pilier du rêve américain.

Ekstasis

Ekstasis est un solo dansé par Martha Graham en 1933, perdu et reconstitué en 2017 à partir d’archives photographiques, un exercice de style autour de la thématique de la sculpture vivante, magnifié par le travail d’éclairage de Nick Hung. Après sa retraite d’étoile, Aurélie Dupont  a dansé avec la Martha Graham Dance Company, et c’est dans la continuité de cette collaboration qu’elle a été invitée pour danser ce solo dans sa propre maison. Ces 5 minutes se sont avérées fascinantes et font oublier les griefs que l’on peut avoir vis-à-vis de la direction artistique d’Aurélie Dupont.

Lamentation Variations

Lamentation Variations est un projet monté pour commémorer le 11 septembre, où des chorégraphes sont invités à imaginer une pièce inspirée par le solo iconique de Martha Graham, Lamentation, réflexion sur le deuil. Les 3 variations proposées sont les plus récentes de cette collection. Le quatuor pour une femme et trois hommes de Bulareyaung Pagarlava est très néo-classique et fait penser au 4ème mouvement de la 3ème symphonie de Mahler (Mahler auquel il emprunte aussi sa musique) chorégraphiée par Neumeier. Larry Keigwin, avec sa foule en deuil accompagnée par une Nocturne de Chopin, chercherait plutôt son inspiration du côté de Pina Bausch : un très beau moment. Le trio féminin chorégraphié par Nicolas Paul ne ressemble qu’à lui, et prouve une nouvelle fois la qualité et l’originalité du travail du sujet de l’Opéra de Paris.

The Rite of Spring

Avec The Rite of Spring, Martha Graham donne en 1984 (elle a 90 ans) sa version chorégraphique de la composition d’Igor Stravinsky pour le ballet de Nijinsky. C’est une version paradoxalement plus classique que la production originale, avec une utilisation millimétrée de la géométrie de la scène et une imagerie quasi hollywoodienne entre chorégraphie pour péplums de Cecil B De Mille et cérémonies tribales tout droit sorties des Mines du Roi Salomon avec la blonde Elue qui va succomber au rite présidé par un sculptural chamane. On gagne en exotisme et en érotisme, ce qu’on perd en puissance tellurique.

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