Dorothée Gilbert est sans doute l’étoile la plus connue du grand public. Egérie de la marque Repetto, elle est la madone des abribus et fait de l’oeil aux fashionistas dans les encarts publicitaires des magazines. Curieusement, cette surexposition hors des murs de l’Opéra, combinée à un congé de maternité, semble l’avoir isolée à l’intérieur de l’institution. Ses apparitions sur scène sont rares en regard de son aura personnelle et de son talent à un moment de sa carrière où l’alliance de la technique et de l’artistique sont a priori optimales.
Cette saison, elle est apparue dans Etudes, quelques représentations très réussies de Casse-Noisette aux côtés de Mathieu Ganio et en deuxième distribution de la création de John Neumeier dans un rôle qui ne l’exploitait pas suffisamment. C’est un peu comme si, en dehors des rôles classiques virtuoses confiés à une jeune étoile, on ne savait pas trop comment la distribuer. Une seule date sur l’Histoire de Manon, sur la dernière, pour une prise de rôle avec Hugo Marchand, sujet certes très prometteur, venait renforcer cette impression.
La malchance des uns, en l’occurrence celle de Ludmila Pagliero, faisant le bonheur des autres, Dorothée Gilbert a finalement récupéré la soirée du 7 mai avec Josua Hoffalt. C’est avec gourmandise qu’elle s’empare de ce rôle qui, sur le papier, semble taillé pour elle. Elle livre une interprétation naturaliste de Manon. Au premier acte, elle n’est pas si ingénue qu’elle n’y paraît. Suivant les directives de son frère, elle comprend très vite que son intérêt est de flatter le vieux gentilhomme dont elle subtilisera ensuite le pécule lors de sa fuite avec Des Grieux. Le couple formé avec Josua Hoffalt a le charme de l’évidence. Le Des Grieux de Josua Hoffalt n’a pas l’allure aristocratique et les manières policées de Mathieu Ganio. Il n’en demeure pas moins un jeune homme bien né, un peu naïf, qui sort le nez de ses livres pour faire son entrée dans le monde immoral et corrompu de Monsieur de G.M. et de Lescaut. Les pas de deux de Manon et Des Grieux sont très charnels, pleins de fougue dans les enlacements et dans les portés. Ils traduisent à merveille l’attraction irrésistible qui les unit. Lors du pas de trois avec son frère et Monsieur de G.M. puis dans le deuxième acte en femme entretenue, Dorothée Gilbert ne semble jamais atteinte par le remords ou par des considérations morales: dans le monde où elle évolue, le plaisir et l’oisiveté sont les mètres étalons de la réussite et pour pouvoir en profiter, il faut de l’argent, peu importe les moyens de s’en procurer. Elle est comme un poisson dans l’eau dans cet univers décadent. C’est un objet bien peu digne de l’affection de Des Grieux, mais son regard innocent et la façon désarmante dont elle se justifie, montrant ses bijoux et sa robe à son amant avec l’air de dire “mais il faut bien vivre!”, excusent tous ses défauts.Il faut attendre le troisième acte et la déchéance ultime, la mort de son frère, la déportation en Louisiane, le viol par le geôlier, pour que sa légèreté et son inconséquence laissent la place à des sentiments plus profonds, magnifiquement exprimés dans le pas de deux final.
Dommage que, dans cette distribution, Alessio Carbone (Lescaut) et Muriel Zusperreguy (sa maîtresse) ne fassent que bien danser et n’imposent pas davantage leurs personnalités. Le regard du spectateur se désintéresse rapidement de la périphérie de la scène, où Stéphane Bullion et Alice Renavand ne cessaient de jouer et d’interagir avec le couple principal, pour se recentrer sur Dorothée Gilbert et Josua Hoffalt.
Dorothée Gilbert retrouvera le rôle de Manon le 20 mai, avec la tâche difficile de passer après la soirée d’adieux d’Aurélie Dupont et son casting multi-étoilé. Elle sera associée à Hugo Marchand dont les apparitions dans le corps de ballet laissent augurer de belles choses en Des Grieux, et à François Alu, dont on attend avec impatience la proposition en Lescaut. Mots Clés : Alessio Carbone,Dorothée Gilbert,Hugo Marchand,Josua Hoffalt,Manon,Muriel Zusperreguy