Alors que la saison à l’Opéra de Paris semble décidément bien atone, c’est du côté d’autres théâtres parisiens qu’il faut se tourner pour ranimer sa passion pour l’art chorégraphique et avoir une démonstration que la technique classique et le ballet narratif sont encore capables d’inspirer un chorégraphe contemporain. Jean-Christophe Maillot et sa troupe des Ballets de Monte-Carlo le prouvent une nouvelle fois brillamment sur la scène du Théâtre de Chaillot où ils avaient déjà présenté en 2014 une relecture originale du Lac des Cygnes, cette fois-ci avec le Songe, adaptation du Songe d’une Nuit d’Eté de Shakespeare.

Shakespeare et Jean-Christophe Maillot, c’est une association gagnante : Roméo et Juliette en 1996, le Songe en 2005 et la sublime Mégère Apprivoisée créée en 2014 pour le Bolchoï sont autant de jalons marquants dans la carrière du chorégraphe tourangeau, curieusement boudé par l’intelligentsia parisienne et le Ballet de l’Opéra de Paris.

Comme pour la Mégère Apprivoisée, Jean-Christophe Maillot s’appuie plutôt fidèlement sur la trame narrative de la pièce. On retrouve ainsi dans la chorégraphie les trois univers de la pièce, celui des Athéniens, figuré par des colonnes et des parallélépipèdes blancs, la forêt et sa clairière, territoire des fées, faunes et elfes, lieu de tous les possibles et de tous les fantasmes, et enfin l’univers de la troupe amateur des artisans qui respecte la mise en abyme théâtrale de l’originale et le zeste de farce qui est le propre des comédies shakespeariennes.

Cette fidélité aux marqueurs essentiels du Songe, et l’utilisation de la composition éponyme de Mendelssohn, n’empêchent pas Jean-Christophe Maillot d’explorer une thématique plus personnelle au travers de cette chorégraphie, celui des âges et des possibles du danseur.

Les deux couples d’Athéniens amoureux (Hermia et Lysandre, Héléna et Démétrius) avec leur tenue floquée à leur nom, évoquant les pensionnaires d’un campus américain, ont de faux airs de diplômés fraîchement émoulus d’une académie de danse et leurs évolutions font penser aux pièces que John Neumeier (dont Jean-Christophe Maillot a été le danseur) a chorégraphié pour les écoles de danse (Yondering, Spring and Fall). Hippolyte et Thésée ont tout du couple d’étoiles solidement installé à la tête de leur troupe, dans lequel se projettent les jeunes danseurs, et Egée figure sûrement le maître de ballet, gardien du temple, soucieux de ne pas voir ses ouailles se disperser sur des chemins de traverses.

Marianna Barabas – Photo Alice Blangero (Ballets de Monte-Carlo)

Quels sont ces chemins de traverses ? Le simili « tanztheater » que donnent à voir les artisans – comédiens amateurs où la technique n’est plus qu’un lointain souvenir et où la liberté semble totale, y compris celle de laisser ses spectateurs sur le bord de la route (en témoignent les Athéniens assoupis à la fin de la représentation) ? Ou le spectacle exubérant et total, évoquant par moment une revue luxueuse et très sexy du Lido, dont Titania et Obéron sont les stars et Puck, le Monsieur Loyal ?

Leart Duraku et Taisha Barton-Rowledge – Photo Alice Blangero (Ballets de Monte-Carlo)

Le cocktail concocté par Jean-Christophe Maillot est d’une efficacité grisante, avec un rythme qui ne faiblit jamais et des transitions entre les univers habilement réalisées et soulignées par les compositions musicales additionnelles de Daniel Terrugi (pour les Fées) et Bertrand Maillot (pour les Artisans). Les danseurs du Ballet de Monte-Carlo trouvent un formidable terrain d’expression dans le riche matériau qui leur est proposé (tant d’un point de vue technique que théâtral) : une nouvelle génération s’approprie une œuvre « cousue main » sur certains des danseurs historiques de la troupe. On pense notamment à la muse de Jean-Christophe Maillot, Bernice Coppieters, qui avait créé Titania, et dont Marianna Barabas reprend brillamment le flambeau. Quelle superbe rôle pour une danseuse : c’est, assez curieusement, rare de voir un personnage féminin si fort, chorégraphié par un homme, dans un ballet contemporain. Les pas de deux avec Obéron (Francesco Mariottini) atteignent des sommets de sensualité, avec un style très physique qui est un peu la marque de fabrique de Jean-Christophe Maillot : on est assez loin du néo-classicisme un peu aseptisé des Benjamin Millepied et consorts, qui tend à abolir la personnalité des danseurs.

Francesco Mariottini et Marianna Barabas – Photo Alice Blangero (Ballets de Monte-Carlo)

Que Jean-Christophe Maillot n’est jamais été sollicité pour travailler à l’Opéra de Paris est décidément une véritable énigme pour moi. J’imagine ce Songe investi par les solistes parisiens, et je crois que cela aurait été bien plus amusant que l’entrée au répertoire de la version de Balanchine.

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