Le Palais des Congrès n’a pas forcément bonne presse auprès du public parisien amateur de danse: il est vrai que la salle immense et impersonnelle, l’organisation aléatoire et le public familial quelquefois un peu turbulent peuvent agacer. Mais c’est une salle qui a le mérite de proposer de la danse classique avec une approche grand public et sans minauderies intellectuelles et un certain talent marketing dont des théâtres plus prestigieux pourraient s’inspirer.
En cette première quinzaine de novembre, la salle accueillait non pas une des troupes russes de seconde zone qui écument les Zénith de France mais une troupe de standing international, le Ballet de la Scala de Milan, avec un hit du ballet classique, le Lac des Cygnes, dans une toute nouvelle production “reconstruite” par le maître de cet exercice, l’incontournable Alexei Ratmansky.
En revenant aux sources du ballet, Ratmansky va à rebours de toutes les relectures ou revisites psychanalytiques de l’argument qu’ont pu faire les chorégraphes qui se sont appropriés le mythe au fil du temps. Il nous raconte simplement une légende nordique, laissant toute sa place à la pantomime avec la contribution toujours de qualité de Jérôme Kaplan, orfèvre des décors et costumes. A l’instar du travail du chorégraphe russe sur la Belle au Bois Dormant pour l’American Ballet Theatre, c’est l’alchimie parfaite entre la narration et la danse qui donne l’impression de découvrir un nouveau ballet. Le 1er acte est à ce titre remarquable, avec une véritable mise en scène de la fête d’anniversaire de Siegfried: une fête champêtre qui rappelle le 1er acte de Giselle ou encore la Fille Mal Gardée avec la danse du corps de ballet autour de l’arbre de mai ou un passage très inventif avec des tabourets, une version très différente de la succession solennelle et parfois un peu longue de divertissements qu’on a coutume de voir. Le corps de ballet de la Scala apparaît très à l’aise avec le style chorégraphique “vintage” ressuscité par Ratmansky qui fait la part belle à la petite batterie et à la rapidité d’exécution caractéristiques de l’école italienne. Dans ce 1er acte, c’est Benno, le meilleur ami de Siegfried, qui est mis en lumière sur le plan chorégraphique : Christian Fagetti a une belle présence et accompagne avec élégance ses deux partenaires, Virna Toppi et Alessandra Vassallo, dans le pas de trois. L’humour n’est pas absent grâce au précepteur Wolfgang, sympathique vieil homme légèrement éméché que les jeunes gens taquinent gentiment avant de partir à la chasse.
La rencontre avec les cygnes au bord du lac n’apparaît pas ici comme le produit de l’imagination malade de Siegfried mais comme l’irruption du mystère dans une scène de chasse prosaïque. Qui sont ces femmes-cygnes et leur reine, bien plus femmes qu’oiseaux dans leur gestuelle ? Nicoletta Manni, une des solistes de la troupe qu’on avait pu apprécier en Myrtha dans la Giselle avec Svetlana Zakharova présentée il y a 2 ans par la Scala à Paris, offre une interprétation pleine de fraîcheur du double rôle d’Odette / Odile, toute en délicatesse et en légèreté en prisonnière du sort de Rothbart (Mick Zeni impressionnant dans ce rôle de caractère), très féminine et séductrice en fille du sorcier (ici pas véritablement de cygne noir). La ballerine est très en confiance avec son partenaire, le blondissime Timofej Andrijashenko, qui est aussi son amoureux à la ville et qui, physiquement, est l’incarnation d’un Siegfried fantasmé (assez éloigné du créateur du rôle Pavel Gerdt âgé de 50 ans en 1895). Le danseur a le temps de présence le plus conséquent sur scène mais a finalement peu d’occasion de se mettre en valeur si ce n’est dans la variation de l’acte III (Pas de Deux du Cygne Noir), une jolie démonstration de style. On notera la curiosité du pas de deux de l’acte II qui se transforme en un pas de trois avec Benno.
Le dernier acte présente lui aussi quelques différences par rapport à ce que le spectateur moderne a l’habitude de voir, introduisant notamment des cygnes noirs parmi les compagnes d’infortune d’Odette. La fin retenue n’est ni heureuse ni malheureuse, puisque Odette, condamnée à rester un cygne pour toujours, se jette dans le lac, rejointe par Siegfried, dans un ultime témoignage d’amour qui détruit Rothbart : les amants apparaissent alors en fond de scène, embarqués sur un cygne géant, pour leur apothéose.
Voici une production du Lac que l’on souhaiterait découvrir dans un écrin plus adapté à son raffinement, mais ne boudons pas le plaisir de voir presque 4000 spectateurs rassemblés et visiblement sous le charme d’une danse classique d’une grande pureté.
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