La saison chorégraphique parisienne s’était conclue avec le New York City Ballet au Châtelet, et c’est avec l’autre grande compagnie new-yorkaise, l’American Ballet Theatre,  qu’on entame la saison 2016-2017 pour découvrir sur la grande scène de l’Opéra Bastille une nouvelle version du « ballet des ballets », la Belle au Bois Dormant. Pas de revisite radicale pour le vingt-et-unième siècle du chef d’œuvre de Marius Petipa mis en musique par Tchaïkovski  mais une version reconstruite par Alexei Ratmansky, le chorégraphe russe globe-trotter qui s’est fait une spécialité de l’exercice.

Le château de la Belle

Le château de la Belle (rideau de scène)

Je dois avouer qu’avant d’entrer dans la salle, je n’étais pas plus impatiente que cela de voir mon premier ballet de la saison : la chaleur estivale de ce samedi après-midi paraissait en totale contradiction avec le fait de s’enfermer pendant 3 heures pour un spectacle dont l’univers féérique l’associe aux fêtes de fin d’année, et puis la Belle au Bois Dormant n’est pas une œuvre facile, c’est un ballet exigeant pour le spectateur, une sorte de manuel initiatique aux mystères de la danse à l’usage de l’aspirant balletomane. Et pourtant, ces appréhensions sont très vite balayées lorsque le rideau s’ouvre sur l’écrin scénographique somptueux inspiré des décors de Leon Bakst pour la production de la Belle au Bois Dormant pour les Ballets Russes datant de 1921. Nous voilà partis pour un voyage teinté de merveilleux au siècle de Louis XIV.

Panneaux de Leon Bakst pour le Manoir de Waddesdon : l’histoire de la  Belle au Bois Dormant

Alexei Ratmansky et son épouse Tatiana ont accompli un travail d’exégète en étudiant les transcriptions du maître de ballet pétersbourgeois Nicholas Sergeyev pour revenir aux sources de la chorégraphie de Petipa. Le résultat pourra dérouter l’habitué de la production Noureev : la danse gagne en raffinement ce qu’elle perd en exploit athlétique. Pour les dames, pas une hyper-extension à l’horizon, les déboulés se font sur demi-pointes et non sur pointes, les sauts gardent une élévation modeste. Pour les hommes, les grands sauts n’ont quasiment pas droit de cité, supplantés par une petite batterie redoutable de vélocité, et les portés ne passent pas le niveau de l’épaule. Ecrit comme cela, ce n’est pas très enthousiasmant et assez éloigné de l’idée que l’on se fait d’une bonne après-midi de danse classique, mais cette approche renforce la fluidité de la danse, sa bonne intégration avec la pantomime et l’harmonie globale de cette Belle très loin d’une succession de numéros virtuoses.

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Le prologue et le premier acte sont sans doute les moments où cette alchimie entre le récit et la danse se fait le mieux, rythmés par les temps forts que sont les variations des six fées, l’apparition spectaculaire de la fée Carabosse (interprété par le charismatique Marcelo Gomes), la valse des fleurs et l’attente de l’apparition d’Aurore pour sa fête d’anniversaire. Isabella Boylston est une Aurore idéale. Son Adage à la Rose joué et maîtrisé avec une fraîcheur désarmante est pour moi le sommet de la représentation.

Le 2ème acte est plus déséquilibré. Le prince Désiré apparaît bien falot, il faut dire que le beau Joseph Gorak n’a pas grande à chose à danser. Les digressions psychologiques noureeviennes avec leur sublime variation lente pour le prince sur un solo de piano manquent à l’appel pour effectuer la transition entre la partie de chasse du prince et sa « vision » d’Aurore. Cette scène de la vision perd de son impact émotionnel, faute d’avoir pu comprendre les motivations de Désiré. La mise en scène du réveil d’Aurore est visuellement splendide, un très beau moment de théâtre.

Veronika Part, Isabella Boylston et Joseph Gorak

Veronika Part, Isabella Boylston et Joseph Gorak

Au 3ème acte, celui des divertissements du mariage d’Aurore et de Désiré où les personnages des Contes de Perrault viennent rendre hommage à leurs « collègues », quand on revoit plusieurs fois la Belle au Bois Dormant, on attend généralement avec impatience le passage de la princesse Florine et l’Oiseau Bleu, interprétés avec une parfaite musicalité par Sarah Lane et Jeffrey Cirio (pour le seul instant de danse masculine « virtuose » au sens moderne de la soirée). Le pas de deux du mariage laisse un peu sur sa faim : Isabella Boylston est rayonnante, Joseph Gorak est un partenaire attentionné dans la redoutable diagonale de portés poissons mais, en solo, il lui manque le petit plus qui fait rêver. Il serait intéressant de voir ce qu’un danseur plus expérimenté et avec une personnalité plus affirmée ferait de la même chorégraphie.

On a en tout cas hâte de découvrir le travail similaire effectué par Ratmansky sur le Lac des Cygnes que la Scala de Milan présentera lors sa tournée à Paris au Palais des Congrès cet hiver.

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