Majestueuse conclusion de la saison cinématographique du Bolchoï, Ivan Le Terrible, créé en 1975 par Youri Grigorovitch, est une oeuvre d’une ambition démesurée par son sujet, une fresque historique qui brosse les épisodes majeurs du règne du premier tsar russe et qui exalte la nation russe. Comme pour son ballet péplum, Spartacus, derrière l’esthétique et la gestuelle propre au ballet soviétique, se dessine en creux une réflexion sur les répercussions des changements sociaux ou politiques majeurs sur l’individu / l’homme privé.

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La mort d’Anastasia (copyright : Bolchoï)

Si Youri Grigorovitch se défend d’avoir adapté le film éponyme d’Eisenstein, dont la musique composée par Prokofiev sert de partition au ballet, il n’y en pas moins une certaine parenté stylistique dans la beauté et la force des images / tableaux proposés et l’importance apportée au regard, reflet de l’âme des personnages. La scénographie est à la fois grandiose et épurée, avec une plateforme surélevée qui évoque tour à tour le trône d’Ivan, l’autel des grandes célébrations religieuses ou le catafalque de la reine Anastasia: dans la lignée des autres collaborations de Simon Virsaladze avec Grigorovitch, elle ne détourne jamais le spectateur de l’essentiel, à savoir la danse. La dramaturgie progresse de façon limpide. Il s’agit bien d’un spectacle populaire, et de façon assez remarquable, il n’y a pas forcément besoin d’être féru de l’histoire de la Russie ou même d’avoir lu l’argument pour rentrer dans le ballet. Il y a une portée universelle dans ces deux actes qui racontent l’apprentissage du pouvoir par Ivan puis la dérive paranoïaque d’un homme trahi par un de ses fidèles le Prince Kourbski et pleurant la mort de sa femme adorée. La structure classique est renforcée par les Sonneurs qui, tels un chœur antique, rythment l’action et assurent les transitions entre les différents tableaux du règne d’Ivan.

Ivan Le Bouffon (copyright : Bolchoï)

Ivan Le Bouffon (copyright : Bolchoï)

Le premier acte marque par ses scènes de bataille qui font briller le corps de ballet masculin, mais c’est surtout le deuxième acte qui reste en mémoire en sortant de la salle. Mikhail Lobukhin (que l’on avait déjà pu découvrir dans le rôle titre de Spartacus) réussit une performance marquante dans le rôle d’Ivan Le Terrible. C’’est presque plus une performance d’acteur que de danseur: j’aurai du mal à citer l’une des prouesses techniques dont il nous a gratifiés, mais je n’oublierai pas son regard halluciné, ses passages de la douceur à la violence, ce sentiment de névrose qui émane de toute sa personne. Il semblait d’ailleurs hors de lui-même et complètement vidé au moment des saluts. Anna Nikulina, habituée des directs cette saison, semble par comparaison beaucoup moins engagée dramatiquement. Le pas de deux “imaginaire” d’Ivan avec sa femme morte n’en reste pas moins un grand moment de danse avec ses portés visuellement sublimes. Enfin, Denis Rodkin impressionne toujours autant par sa puissance athlétique, tout en faisant preuve également de nuances dans l’interprétation du Prince Kourbski, compagnon d’armes du tsar, amoureux transi de sa femme et instrument des intrigues des courtisans.

Le tableau final saisissant

Le tableau final saisissant (copyright : Bolchoï)

Histoire de ne pas être trop triste de quitter cette saison cinématographique sous le signe de la Russie et de Youri Grigorovitch, une bande-annonce très pop promet une saison 2015-2016 plus éclectique et ouverte sur le monde.

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