La dernière reprise de La Fille Mal Gardée remontait à l’été 2018 et, pourtant, on a l’impression d’avoir vu et revu le ballet de Frederick Ashton à Paris, où il est donné d’habitude en fin de saison. Cette fois-ci, le ballet donne le coup d’envoi d’une deuxième partie de saison à l’Opéra particulièrement enthousiasmante pour l’amateur de danse classique, et, finalement, fait presque figure d’encas à côté des Don Quichotte, Giselle et Lac des Cygnes qui se profilent dans les agendas. Si la Fille Mal Gardée est généralement l’occasion de tester de jeunes talents ou de confier des rôles principaux à des premiers danseurs, cette année, c’est encore plus prégnant avec seulement une distribution étoilée au programme (Léonore Baulac et Guillaume Diop) et énormément de prises de rôles. Cette série de représentations fait office de concours de promotion officieux pour les sujets distribués dans les rôle de Lise et  de Colas.

Pour la soirée du 16 mars, le plateau était confié à Marine Ganio et à Jack Gasztowtt. La jeune femme a déjà abordé le rôle en 2015 et semble avoir toute la confiance de José Martinez avec un bel enchaînement sur des rôles d’étoile (après Casse-Noisette en fin d’année dernière). Pour Jack Gasztowtt, c’est évidemment une prise de rôle et, lui aussi, semble être dans une spirale ascendante (reprise du rôle de Rothbart lors de la récente tournée au Japon, soliste principal sur la soirée Jirí Kylián).

Avec sa  version du ballet de Dauberval créé à la veille de la Révolution Française, Frederick Ashton livre un divertissement merveilleusement calibré pour un public de 7 à 77 ans. Les toiles peintes naïves et les costumes d’Osbert Lancaster nous plongent dans un univers bucolique idéalisé où la joie de vivre est la règle. On pense forcément un peu à Jane Austen ou à Henri Fielding pour la façon dont le livret croque les petits travers  de cette société campagnarde avec un regard mêlant humour et bienveillance. La plus grande réussite du chorégraphe est à mon sens la façon dont il allie pantomime et danse pour raconter une histoire toute simple en apparence, les amours contrariées de Lise, la fille d’une riche fermière, et de Colas, le garçon de ferme. Il n’y a pas à proprement parlé de longues séquences de pantomime dans le ballet, durant lesquelles le spectateur se languit de voir de la danse : cette dernière est toujours présente, créant un sentiment de fluidité dans la narration.

J’ai retrouvé le plaisir sans mélange éprouvé à la découverte de l’oeuvre en 2012, lors d’une représentation parfaite (la première en tant qu’étoile de Myriam Ould-Braham associée à Josua Hoffalt, formidable Colas, la référence à l’Opéra de Paris).

Je n’est pas toujours été tendre avec Jack Gasztowtt qui n’avait pas forcément été éblouissant lors de ses premiers rôles de soliste (je pense au Pas de Deux des Vendangeurs de Giselle dansé trop en force ou encore à un Rothbart falot). Pour moi, c’est la grosse satisfaction de cette représentation car je ne doutais pas que Marine Ganio, dont Lise est un peu l’emploi naturel, serait à l’aise. Que de progrès accomplis par Jack Gasztowtt. Il m’avait déjà beaucoup plu cet hiver lors de la soirée Jirí Kylián. Mais c’est une chose de briller dans une courte pièce néo-classique, c’en est une autre d’aborder une rôle principal, assez lourd techniquement et nécessitant une réelle capacité à jouer, qui plus est dans un registre comique. Son Colas est sans doute le plus séduisant que j’ai vu à l’Opéra (à défaut d’être le plus gouailleur) : beaucoup de présence, une danse spectaculaire qui allie ballon, puissance et précision. Pour moi, cette soirée était un sans faute et assoit sa position en tant que soliste sur lequel on peut compter. L’alchimie avec Lise / Marine Ganio est idéale et, à la fin du tableau des moissons, on ressent le petit frisson de l’émotion et du bonheur. Marine Ganio n’a peut-être pas l’aura d’une étoile, cette confiance en elle acquise à force d’être sur le devant de la scène, mais sa Lise est finement incarnée, on ne l’a sent jamais dépassée par les difficultés techniques, lui permettant de se consacrer à l’interprétation.

Hugo Vigliotti contribue aussi énormément au plaisir ressenti ce soir : c’est une Mère Simone d’anthologie, caractérisée avec la faconde et la vigueur qu’on lui connaît. On apprécie également la personnalité artistique affirmée d’Aurélien Gay qui fait merveille dans le rôle d’Alain, le fiancé « fils à papa » lunaire, qu’il réussit à ne pas surcharger. On regrettera juste le petit poney qui égayait le tableau intermédiaire du premier acte, porté disparu.

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