Pour la soirée contemporaine donnée en face du Casse-Noisette, Aurélie Dupont avait imaginé un programme entièrement consacré à l’un des chorégraphes majeurs de notre temps, le tchèque Jirí Kylián, sur le modèle d’une soirée similaire proposée lors de sa première saison à la direction du ballet. Un choix dont José Martinez doit être satisfait, tant le travail de Kylián sait tirer le meilleur partie de la technique classique des danseurs parisiens.
Gods and Dogs qui inaugurait la soirée est la pièce plus récente, créée en 2008 pour une compagnie chère au cœur du chorégraphe, la compagnie junior du Nederlands Dans Theater, le NDT II. Derrière la forme très léchée tant sur le plan de la scénographie que de la chorégraphie, cette œuvre énigmatique distille peut-être une réflexion sur la dualité de la nature humaine avec ses huit danseurs écartelés entre leur corps spirituel et leur corps naturel (cette part d’animalité étant figurée par la projection récurrente d’un chien féroce prêt à attaquer). On pourra se contenter d’admirer l’esthétique de l’ensemble, avec le sentiment d’une mécanique qui tourne un peu à vide sur une musique conçue par Dirk Haubrich, collage de musique électronique du Quatuor à cordes n°1 en fa majeur de Beethoven. La performance magnétique de Francisco Mura, que l’on connaissait plus en virtuose du classique, reste une des passages mémorables de la soirée.
Stepping Stones, pièce datant du début des années 90, avait intégré le répertoire parisien en 2001. Là encore, place à une scénographie qui intrigue le spectateur, impression renforcée par la musique « savante » de John Cage et Anton Webern. Sommes nous dans les entrailles d’une pyramide ? Assiste-t-on à un rituel funéraire ? La chorégraphie (sur pointe pour les femmes) est cette fois-ci plus incarnée : je ressens davantage l’interprétation des danseurs. On a beau dire que, pour Kylián, la notion d’étoile n’est pas très importante, la présence de Léonore Baulac et de Ludmila Pagliero apporte beaucoup au ballet, notamment dans les pas de deux acrobatiques qui leur sont confiés. L’association de Léonore Baulac avec Francesco Mura est très intéressante et mérite d’être revue dans d’autres occasions. Le partenaire de Ludmila Pagliero, Jack Gasztowtt, que je trouvais jusqu’à présent un peu lisse et scolaire, m’a fait forte impression : son physique sculptural met en valeur la gestuelle de Kylián.
La dernière partie de la soirée en est le point d’orgue, avec l’entrée au répertoire de deux pièces créées en 1991 pour le Nederlands Dans Theater dans le cadre du Festival de Salzbourg. Petite Mort et Sechs Tänze sont assez proches d’un autre ballet contemporain, le Parc d’Angelin Preljocaj, œuvre emblématique du répertoire de l’Opéra de Paris créée en 1994, qui utilise les mêmes compositions de Mozart. Il s’agit là aussi d’explorer la Carte du Tendre, tantôt sur un ton sérieux qui nous ramène aux Liaisons Dangereuses dans Petite Mort, tantôt sur un ton plus léger avec des références à Marivaux ou aux peintures de Fragonard dans Sechs Tänze. J’avoue pour ma part une petite préférence pour le lyrisme et la sensualité de Petite Mort où Jack Gasztowtt fait à nouveau mouche aux côtés de Valentine Colasante, Arthus Raveau nous enchante avec sa danse toujours musicale, tandis que Mathieu Ganio se fond avec élégance dans les ensembles. La troupe semble en tout cas complètement libérée dans ce répertoire qui dialogue avec son héritage culturel.
Mots Clés : Francesco Mura,Jack Gasztwott,Jiri Kylian,Léonore Baulac,Ludmila Pagliero,Mathieu Ganio,Pierre-Arthur Raveau,Valentine Colasante