La sortie de la pandémie nous rend encore plus conscients que nous voyons certains artistes pour la dernière fois dans un grand rôle qui a marqué leur carrière. Je n’avais jamais vu la Bayadère de Myriam Ould-Braham sur scène et je suis heureuse d’avoir pu enfin l’admirer dans le rôle de Nikiya entourée d’un casting de jeunes, Francesco Mura en Solor et Bleuenn Battistoni en Gamzatti, auxquels elle transmet une profondeur d’interprétation du ballet et une précision dans la pantomime, un peu supplantées par la virtuosité technique dans la distribution étoilée du 9 avril. Il me faut remonter à Giselle en février 2020 pour avoir ressenti cette osmose entre les danseurs et la salle et avoir été aussi transportée par la magie du ballet romantique.
En décembre 2020, cela avait été très frustrant de ne voir que des extraits filmés pour l’écran du téléphone ou pour l’écran d’une télévision de la Nikiya incarnée par Myriam Ould-Braham.
Elle offre une Bayadère très expressive et pleine de nuances dans le premier acte. Femme vestale, se servant de sa dignité comme une armure face aux avances du Grand Brahmane (Cyril Chokroun), elle se transforme en jeune fille amoureuse et séductrice avec Solor. Francesco Mura campe un Solor à la fougue toute latine, impatient de se faire obéir par ses troupes, pressant avec sa belle. Dans leur premier pas de deux, chaque geste des deux amants fait sens et ils nous invitent dans leur dialogue sans paroles. Dans ce tableau, on remarque aussi la beauté d’Andrea Sarri dans le rôle du Fakir avec une danse à la fois puissante et aérienne.
Dans le deuxième tableau du premier acte, le Solor de Francesco Mura apparaît très en retrait, on le sent prêt à protester contre l’union avec Gamzatti, mais il s’avère assez lâche et veule. Bleuenn Battistoni, pour son premier grand rôle, fait une belle entrée : pas de doute, c’est elle la princesse. La jeune danseuse a beaucoup de charisme et réussit à imposer sa présence dans cette partie de pure pantomime. Myriam Ould-Braham se comporte comme l’égale de Gamzatti, elle est la princesse du royaume spirituel face à la princesse du royaume temporel. Contrairement à sa rivale elle ne doit pas l’amour de Solor à la puissance de son père. Le pas de deux de l’esclave est très spectaculaire, du fait de la grande différence de taille entre Myriam Ould-Braham et Audric Bezard qui magnifie les portés. Myriam Ould-Braham y combine noblesse et sensualité.
Quel deuxième acte ! Il y a beaucoup d’engagement chez l’ensemble des danseurs. Dans les divertissements des fiançailles de Gamzatti et Solor, on retiendra surtout l’Idole Dorée ciselée de Pablo Legasa et la pétillante Manou de Sylvia Saint-Martin. Je trouve que la dynamique du couple Gamzatti – Solor fonctionne particulièrement bien. Solor n’est pas vraiment avec son cœur dans ses fiançailles, mais il est bien présent physiquement, et ne peut s’empêcher d’être charmé par les assauts séducteurs de Bleuenn Battistoni, véritable vamp bollywoodienne. Cela danse très vite dans le Grand Pas. Le manège final de la variation de Solor est en quelque sorte un exutoire pour se débarrasser de toute l’hypocrisie de ce moment.
Si Bleuenn Battistoni n’est pas ultra-dominatrice dans ses variations, cela marche à 1000% parce qu’à aucun moment, il n’y a d’interprétation scolaire et que, depuis le début de l’acte, nous sommes complètement immergés dans l’histoire. L’impact dramatique, quand apparaît Nikiya, s’en trouve décuplé. Côté cour, on suit les jeux de regard entre les autres protagonistes: le renvoi brutal de Solor à sa trahison, et le remords qui s’ensuit, ou la complicité du Rajah (Arthus Raveau) et de sa fille dans la décision de condamner Nikiya ne m’ont jamais paru si lisibles. Dans sa déchirante variation, Myriam Ould-Braham fait passer un infinité d’émotions : alternent la douleur face à la trahison, l’espoir et la joie de se croire toujours aimée puis l’effroi face à la mort et enfin le choix de renoncer à la vie plutôt que de vivre sans Solor.
Le troisième acte touche vraiment au cœur. Hormis le couple de solistes sur son petit nuage, les danseuses du corps de ballet continuent de nous faire vibrer avec cette Descente des Ombres qui marque le passage de Solor du monde réel aux monde des songes. Bianca Scudamore a apporté de la vie à la variation de la Première Ombre, souvent dansée de façon raide et militaire. La Deuxième Ombre d’Inès McIntosh m’a également impressionnée. Myriam Ould-Braham est sublime dans ce type d’acte blanc est sans doute le royaume où s’exprime le mieux sa sensibilité. C’est aussi une danseuse qui a le don de mettre en confiance son partenaire. Si Francesco Mura est encore perfectible sur le partenariat (on le sent un peu timide avec elle sur quelques prises, mais elle le rassure d’un regard), les variations étaient spectaculaires, je dirais que sa danse est fulgurante. Le dernier manège de double-assemblés m’a particulièrement marquée: ce n’est pas qu’un exercice académique, il y a mis du sens. C’est d’ailleurs le terme que je garderais pour cette représentation : les danseurs ont donné du sens à chacun de leurs pas et nous ont fait oublier la pure technique, y compris dans les passages les plus redoutables.
Mots Clés : Andrea Sarri,Bianca Scudamore,Bleuenn Battistoni,Francesco Mura,Inès McIntosh,La Bayadère,Myriam Ould-Braham,Noureev,Pablo Legasa,Pierre-Arthur Raveau,Sylvia Saint-Martin