Le Saint-Petersbourg Ballet Théâtre fait partie des compagnies privées venues de l’Est qui tournent dans les Palais des Congrès et les Zénith de France avec les grands titres du ballet classique. Chaque année, la troupe et sa star Irina Kolesnikova font escale avenue Montaigne, avec généralement quelques étoiles invitées pour être raccord avec le standing des lieux.
Pour les deux soirées dédiées à la Bayadère, l’invité de marque était Denis Rodkin, pas encore étoile au Bolchoï mais omniprésent sur les retransmissions au cinéma de la saison en cours (La Légende d’Amour, Casse-Noisette, le Lac des Cygnes et bientôt Ivan le Terrible). Pour tous ceux qui ont pu admirer ses prouesses sur grand écrans, la tentation était forte de découvrir le danseur en chair et en os.
La Bayadère, c’est le charme d’une Inde de pacotille, les flonflons de Minkus et la magie de l’acte blanc dans le Royaume des Ombres, une des plus belles pages chorégraphiques imaginées par Marius Petipa.
Solor, le courageux guerrier, est amoureux de Nikiya, la jolie danseuse et servante du temple, harcelée par le grand brahmane. Ce dernier va dénoncer les amours de Nikiya et Solor au rajah qui veut marier sa fille Gamzatti à Solor. Gamzatti veut acheter Nikiya pour qu’elle renonce à Solor: les deux jeunes femmes s’affrontent violemment, Nikiya menaçant avec un couteau sa rivale. Mais c’est Gamzatti qui a le dernier mot. A l’occasion de ses somptueuses fiançailles avec Solor, elle fait cacher un serpent venimeux dans une corbeille offerte à Nikiya durant la danse que celle-ci doit effectuer pour les fiancés: d’une part, la malheureuse bayadère s’aperçoit de l’inconstance de Solor, d’autre part, elle se fait mordre par le serpent et meurt. Solor ne peut se pardonner sa trahison, il sombre dans la dépression et l’opium: lors d’un de ses rêves, il retrouve, dans le Royaume des Ombres, sa chère Nikiya qui lui pardonne. Au réveil, il ramasse le panier laissé par un derviche, un serpent s’y dissimule, à son tour d’être mordu et de succomber.
Si la musique de Minkus est un peu massacrée par l’orchestre réduit de la troupe (et elle n’en a pas forcément besoin), les décors et les costumes font illusion et il en émane un délicieux parfum vintage. Les deux premiers actes où la pantomime tient un rôle important sont bien menés. Les quelques apparitions majestueuses de Denis Rodkin et la ravissante Nikiya d’Anna Samostrelova (l’autre étoile du Saint-Petersbourg Ballet Théâtre) font passer le temps agréablement. Pour qui a vu les versions de l’Opéra de Paris ou du Bolchoï, le troisième acte (les fiançailles de Solor et Gamzatti) met en évidence les lacunes de la troupe, même dans une chorégraphie simplifiée: corps de ballet masculin à la peine, ensembles féminins désynchronisés et mal alignés, Idole Dorée en manque d’élévation et Gamzatti qui court après la musique. Dans cet univers toc où on retiendra une danse de caractère plaisante, le lyrisme d’Anna Samostrelova dans la scène de la mort de Nikiya et le charisme de Denis Rodkin font figures de pierres précieuses.
C’est donc avec une certaine appréhension qu’on aborde le dernier acte : comment les demoiselles vont-elles gérer la fameuse descente des ombres? Étonnamment, la magie opère, et le talent des solistes fait le reste. Le pas de deux du voile est dansé avec beaucoup de poésie. On sent qu’Anna Samostrelova profite de chacun des instants qu’elle passe dans les bras du beau Solor. Denis Rodkin est, il est vrai, assez époustouflant: rien que la variation du dernier acte (et son terrible manège de double tours assemblés) relève de l’extraordinaire et justifiait le déplacement. On apprécie également son sens du partenariat: que ce soit avec la Zakharova ou avec une ballerine plus modeste, il est toujours au service de sa partenaire.
Beau succès à l’applaudimètre pour les danseurs et une soirée de ballet “à l’ancienne” très plaisante, qui n’aurait néanmoins pas eu le même impact sans sa guest star.
Mots Clés : Denis Rodkin,La Bayadère,Saint-Petersbourg Ballet Théâtre,Théâtre des Champs Elysées