Hasard de la programmation, j’inaugure cette nouvelle saison avec 2 spectacles aux accents canadiens. Fin septembre, fidèle à sa vocation de théâtre musical, le Châtelet accueillait les Ballets Jazz Montréal pour une chorégraphie léchée qui met en mouvement les chansons de Leonard Cohen, Dance Me. Au Théâtre des Champs-Elysées,  c’est le Ballet National du Canada qui propose trois pièces inédites avec en point d’orgue Angel’s Atlas de la chorégraphe canadienne star de la scène internationale, Crystal Pite.

Dance Me – Leonard Cohen (29 septembre)

La compagnie des Ballets Jazz Montréal a été créée dans les années 70 par des danseurs de formation classique qui souhaitaient étendre leur vocabulaire chorégraphique en y intégrant la technique de la danse jazz, rendue populaire par les musicals de Broadway et largement diffusée au travers des films musicaux produits par la machine à rêve hollywoodienne.

Cet ADN populaire de la troupe, on le retrouve dans Dance Me, déambulation à travers les âges de la vie et le parcours artistique de Léonard Cohen, folk singer de génie : Dance Me s’apparente ainsi moins à une chorégraphie à part entière qu’à un spectacle de cabaret musical, dont le maître de cérémonie affublé du fameux chapeau Trilby est le double de l’artiste montréalais qui avait approuvé l’initiative de son vivant. Ce sont les chansons qui retiennent l’attention, même s’il s’agit évidemment d’enregistrements, et moins les tableaux chorégraphiques qui sont sensées les illustrer et s’en inspirer.  De façon assez révélatrice, en sortant du spectacle, j’ai écouté la playlist proposée par le Châtelet, mais j’étais bien en peine de me remémorer la danse associée à chaque chanson.

On passe un moment agréable mais on a parfois l’impression d’assister à des clips MTV posthumes mis en scène par un émule de Ridley Scott, qui s’enchaînent d’ailleurs de façon frénétique dans la première partie. La scénographie et les éclairages magnifient les danseurs qui n’ont  pas grand à chose à défendre, la faute à une chorégraphie que l’on peut qualifier de « générique ». Pourtant, il s’agit d’une œuvre à 3 mains, puisque trois chorégraphes Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem ont travaillé sur le spectacle. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir qui a chorégraphié quel tableau, pour essayer de trouver une explication aux quelques rares moments où la perfection plastique laisse la place à l’émotion : je pense notamment au tableau  où une danseuse interprète a cappella So Long, Marianne et aux duos mettant en avant le double dansé de Léonard Cohen avec sa mystérieuse muse. On se prend à rêver de ce que Mats Ek aurait pu chorégraphier  sur le même matériel musical.

Ballet National du Canada (13 octobre)

Le Ballet National du Canada établi depuis 1951 à Toronto fait partie des compagnies les plus importantes du pays aux côtés des Grands Ballets Canadiens de Montréal et du Royal Winnipeg Ballet. Comme pour la plupart des compagnies nord-américaines qui vivent largement du mécénat, le répertoire mêle des pièces majeures du répertoire classique et néo-classique à des créations néo-classiques et contemporaines beaucoup plus sages que ce peut proposer une compagnie subventionnée par les deniers publics. Sans surprise, le programme mixte que la troupe a emmené dans ses valises est assez représentatif du paysage chorégraphique anglo-saxon.

Passion de James Kudalka s’inscrit dans la veine du plus pur néo-classicisme. Bien qu’abstraite, la pièce s’incarne à travers le couple de solistes principaux. Imaginez un couple de notre époque, sorti d’un ballet de Christopher Wheeldon, qui se retrouve transporté dans une chorégraphie de Balanchine, période tutus et strass. J’aime bien la façon dont le chorégraphe fait se répondre le vocabulaire néo-classique d’aujourd’hui plus naturel avec le langage académique des étoiles, des demi-solistes et du corps de ballet féminin des parties à la Balanchine sur le Concerto pour Piano en ré majeur de Beethoven.

La deuxième pièce est particulièrement ambitieuse, et, si elle n’est pas totalement aboutie, c’est, sur l’ensemble des plans (chorégraphie, dramaturgie, scénographie), la partie de la soirée qui m’a le plus accrochée et que je reverrais volontiers. Utopiverse nous fait changer complètement d’univers. Bienvenue dans le futur : un aventurier, chasseur de primes à la Han Solo (Noah Parets) atterrit sur une planète indéterminée avec des motivations troubles vis-à-vis des autochtones. Parmi eux, un couple Leo (Siphesihle November,un danseur à la présence magnétique) et Lotus (Tirion Law), réincarnations d’Adam et Eve.  William Yong s’inspire librement du poème de John Milton, le Paradis Perdu, pour en proposer une relecture sous la forme d’un ballet technophile, magnifiquement accompagné par une sélection d’œuvres de Benjamin Britten. Il y a un peu de Wayne Mc Gregor ou de Benjamin Millepied (version Daphnis et Chloé) dans le spectacle total imaginé par le chorégraphe, même si l’artiste a sa propre personnalité : à un aucun moment, je ne me suis dit que ce que je voyais était vu et revu. Cette vision futuriste n’oublie pas d’être enracinée dans l’histoire de la danse : l’entrée de Noah Parets nous rappelle le Corsaire, ou encore le pas de deux central de Lotus et Leo d’une grande puissance et les ensembles sont des réminiscences des chorégraphies héroïques de Iouri Grigorovitch.

J’ai nettement moins adhéré à la dernière pièce qui pourtant était supposée le clou de la soirée. Difficile de comprendre l’enthousiasme débordant de la salle, standing ovation à l’appui, face  à Angels’ Atlas de Cristal Pyte, chorégraphie que je qualifierais de formulaïque. Après the Season’s Canon (pour l’Opéra de Paris), Flight Pattern (pour le Royal Ballet) et avant Light of Passage (pour le Royal Ballet et le Ballet National de Norvège), Angels’Atlas met à nouveau de scène de grands ensembles de danseurs indifférentiables et ingenrés dans une chorégraphie solennelle aux accents quasi tribaux, dans laquelle viennent s’intercaler des solos et des duos inspirés pas les arts martiaux, le tout sur fond de projections lumineuses qui évoquent au choix le cosmos, la terre après l’apocalypse ou une catastrophe écologique. C’est toujours plus ou moins la même pièce, en tout cas avec de larges copier-coller, répliquée d’une compagnie à l’autre. Certes, c’est impressionnant, et je comprends que l’on puisse être bluffé la première fois, mais je trouve que cette danse-là ne procure aucune émotion durable.

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