Au sein de la très riche programmation de la Philharmonie de Paris, le « week-end » thématique du 21 au 24 octobre était consacré à la danse avec notamment un beau programme Hommage à Nijinski qui invitait le spectateur à un voyage aux sources des Ballets Russes pour tenter de lui faire revivre le choc esthétique éprouvé par le public du Paris de la Belle Epoque. Diaghilev, le fondateur des Ballets Russes, déclarait « plus j’y pensais, plus il semblait clair qu’un véritable ballet devait comporter la combinaison parfaite de ces trois facteurs : musique, chorégraphie et peinture décorative ».
C’est une partie de cette alchimie, celle qui unit les prémices de la danse contemporaine à la modernité musicale, qui est ravivée dans le travail conjoint de Dominique Brun, chorégraphe et historienne de la danse, et de l’orchestre les Siècles. Dominique Brun a choisi trois pièces chorégraphiées par Nijinski, les chefs d’œuvre l’Après-Midi d’un Faune et le Sacre du Printemps ainsi que l’oublié Jeux, sur lesquelles elle effectue un traitement de reconstruction/recréation, tandis que l’orchestre dirigé par François-Xavier Roth s’attache à retrouver l’authenticité et les couleurs originelles dans son interprétation des partitions de Claude Debussy et d’Igor Stravinski.
Curieuse sensation que de découvrir l’Après-Midi d’un Faune, dans une reconstruction au plus près de la chorégraphie originale de Nijinsky à partir des notations Stepanov, sans la toile monumentale de Leon Bakst que nous lui connaissons comme décor dans la version du ballet qui est au répertoire de l’Opéra de Paris. Ici un simple fond noir et un escalier pour figurer le rocher sur lequel se prélasse le faune, et qui finalement permet de ne pas se laisser distraire par l’œuvre picturale pour se concentrer sur les mouvements des danseurs et leur dialogue avec l’orchestre interprétant l’œuvre de Debussy. La présence magnétique de François Alu donne un nouveau souffle à ce bas-relief antique animé qui peut parfois prendre des allures de pièce muséale.
Pour Jeux, ballet oublié sur une composition originale pour les Ballets Russes de Claude Debussy, Dominique Brun s’inspire des dessins de Valentine Gross-Hugo, seuls témoignages visuels restant de l’œuvre, et de ce que le Faune laisse deviner de la manière chorégraphique de Nijinski, pour imaginer une chorégraphie à la manière du danseur. 4 danseuses et 2 danseurs évoluent dans un espace figurant un terrain de jeux ou de sport. On peut sans doute y voir une réflexion sur la gestuelle sportive, sur l’évolution du corps de la « sportswoman » qui contribue à abolir la frontière entre féminité et masculinité, mais aucun passage ne réussit vraiment à accrocher le regard. La danse n’est ici qu’un simple fond visuel à la performance de l’orchestre.
Le Sacre du Printemps est une œuvre qui passionne Dominique Brun. Son travail a connu une large exposition en 2010 avec le film Coco Chanel et Stravinsky et sa scène d’ouverture qui reconstitue le scandale de la création du Sacre. Le Sacre #2, présenté ici, s’inscrit dans cette veine de reconstitution historique, étayée par d’abondantes sources tant iconographiques que documentaires. Il s’agit d’une expérience fascinante et viscérale, même s’il faut avouer que la musique de Stravinski apparaît encore comme novatrice et surprenante en 2016 alors que la chorégraphie qu’elle accompagne est finalement relativement consensuelle selon nos critères actuels.
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