Avec l’Histoire de Manon, un des hits du Royal Ballet, Kenneth Mac Millan a créé un ballet foisonnant et excessif qui fait vibrer le spectateur, destiné à séduire le plus grand nombre, plus que le balletomane qui pourrait trouver de mauvais goût ce trop plein de tout: traitement racoleur du roman de l’abbé Prévost (qui tient plus de la romance historique ici), musique constituée d’un patchwork de pièces de Massenet qui évoque un mélodrame hollywoodien, pas de deux enfiévrés truffés de portés acrobatiques, costumes et décors rutilants. Dans l’esprit, on est assez proche des adaptations cinématographiques des romans picaresques d’Henry Fielding (contemporain de l’abbé Prévost) par le britannique Tony Richardson (contemporain de Kenneth Mac Millan),Tom Jones (1963) ou Joseph Andrews (1977), en phase avec le goût du public et une esthétique très 70’s de la reconstitution historique opulente.
C’est également un ballet passionnant pour ses interprètes, pour les rôles principaux qui ont des personnages de chair et de sang à défendre (et pas des personnages de conte de fées) et pour le corps de ballet avec une multitude de saynètes qui se déroulent en arrière-plan. La dernière reprise à Paris avait vu les adieux de Clairemarie Osta, aux côtés de son mari Nicolas Le Riche. C’est à présent au tour d’Aurélie Dupont de faire ses adieux dans le rôle de Manon, qui est un peu la chasse gardée des étoiles les plus expérimentées, aux côtés d’un des Des Grieux les plus convoités du monde de la danse, Roberto Bolle.
En attendant de découvrir cette distribution multi-étoilée au cinéma au mois de mai, Ludmila Pagliero et Josua Hoffalt nous ont offert leur version des amours tumultueuses de Manon et Des Grieux et ils ont su y apporter une fraîcheur juvénile et une spontanéité, alliée à une parfaite maîtrise technique, qui ont transporté le spectateur avec eux dans l’aventure.
C’est une prise de rôle pour Ludmila Pagliero, et la façon dont elle s’approprie le personnage de Manon est totalement aboutie. Manon mérite d’être inscrit parmi ses rôles phares, au même titre que Naïla dans la Source ou la Sylphide. Elle ne l’aborde pas comme une héroïne uniformément tragique et victime de la concupiscence des hommes mais comme une jeune femme qui fait ses propres choix, souvent hasardeux, aveuglée tantôt par l’amour, tantôt par son goût de ce qui brille.
La naïve jeune fille sortie du couvent qui retrouve son frère au 1er acte se transforme au contact des hommes qui la convoitent en la créature sensuelle du 2ème acte, dont les yeux mi-clos semblent cacher les véritables sentiments: regret des premiers transports de l’amour véritable avec Des Grieux ou jouissance d’être l’idole des gentilshommes clients de la maison close? N’est-elle pas déjà un peu morte avant même de mettre les pieds aux Amériques? Ludmila Pagliero sait jouer de la parfaite cambrure de son pied pour marquer l’abandon ou susciter le désir.
L’association avec Josua Hoffalt, très équilibrée, s’avère, ce n’est pas une surprise, idéale. Chacun de leurs pas de deux est un régal. Au premier pas de deux de la chambre, parfaite illustration du transport amoureux qui donne le frisson, répond le dialogue tragi-comique de la fin du 2ème acte où les amants se disputent et se réconcilient autour du bracelet en diamants, vestige et stigmate des errements de Manon, avant l’ultime et tragique étreinte dans le bayou du 3ème acte. Josua Hoffalt propose une danse fluide et légère, très élégante, et déjoue avec maestria les pièges des portés du dernier acte.
Dans la galerie de personnages hauts en couleur ou sinistres qui entourent le couple principal, Alessio Carbone est un Lescaut plus viveur que cynique, Muriel Zusperreguy est sa très pétillante maîtresse, Aurélien Houette est méconnaissable sous sa perruque en protecteur libertin et enfin Yann Saïz est d’une brutalité glaçante dans le rôle du geôlier violeur. Dans le corps de ballet, on remarque les gentilhommes Yannick Bittencourt, Fabien Revillion et Hugo Marchand ou encore en courtisane Charlotte Ranson qui serait sans doute une superbe maîtresse de Lescaut.
Cette première vision du Manon millésime 2015 confirme en tout cas le caractère extrêmement addictif de ce ballet-roman.
Mots Clés : Alessio Carbone,Aurélien Houette,Hugo Marchand,Josua Hoffalt,Ludmila Pagliero,Manon,Muriel Zusperreguy,Yann Saïz
Excellente critique avec laquelle je suis plus que d’accord !!! Dans ce magnifique ballet, Ludmila Pagliero, envoûtante joue à la perfection un rôle dans lequel elle démontre tous ses talents de comédienne… Elle est entourée d’un partenaire talentueux en la personne de Josua Hoffalt mais aussi d’un attachant Alessio Carbone et de la superbe Muriel Zusperreguy. Une bien belle soirée qu’il me tarde fort de revivre !