Le ballet de la Scala de Milan doit sa renommée au théâtre prestigieux qui héberge la troupe, à son histoire qui remonte à la fin du XVIIIème siècle et aux stars de la danse formées par son académie, telles Alessandra Ferri, Carla Fracci ou Roberto Bolle. La Scala a aussi la particularité de recourir régulièrement à des étoiles invitées pour ajouter un surcroît de lustre à ses distributions. Il n’en va pas autrement pour ce détour hivernal à Paris où la troupe présente Giselle, puisque trois dates sont dévolues à Svetlana Zakharova et à Friedemann Vogel. Il est néanmoins dommage de snober les autres représentations qui mettent en valeur les talents maison.
Cette production milanaise de Giselle avec sa chorégraphie revue par Yvette Chauviré, une des grandes Giselle du XXème siècle, production qu’elle a elle-même interprétée à la Scala dans les années 50, est d’un classicisme sobre et délicat. L’histoire se développe avec une grande lisibilité, réussissant à faire oublier le cadre impersonnel du Palais des Congrès.
Fraîcheur, c’est le mot qui vient à l’esprit quand on évoque les danseurs: pas de surjeu, une technique qui reste cohérente avec le ballet originel et beaucoup d’authenticité notamment dans le 1er acte qui transporte l’imaginaire du spectateur dans une clairière de Silésie. Le corps de ballet est bien en place et l’on est frappé par la belle harmonie physique et stylistique de la troupe.
La distribution est dominée par l’Albrecht de Claudio Coviello, jeune soliste principal talentueux qui a déjà eu l’occasion d’être le partenaire des stars Natalia Osipova et Tamara Rojo. Physiquement, Claudio Coviello, c’est un peu Roberto Bolle en miniature. Doté de très belles lignes, il possède par ailleurs un joli ballon, est un partenaire attentionné et nous a gratifié de réceptions et d’une petite batterie précises. Le couple formé avec Giselle incarnée par Vittoria Valerio, à la personnalité affirmée et très latine, est tout à fait charmant, et nous fait vivre dans le 1er acte les élans d’un premier amour réciproque, menacé à la fois par la présence physique imposante d’Hilarion (Alessandro Grillo), le garde-chasse et soupirant malheureux de Giselle, et les conventions sociales. Dans le morceau de bravoure du 1er acte, le pas des deux des paysans, on remarque particulièrement la vélocité bondissante d’Antonino Sutera.
La magie de Giselle, ce qui fait que le ballet reste dans la mémoire d’un spectateur, c’est son deuxième acte blanc, où les wilis, les fantômes des jeunes filles mortes pour avoir trop dansé (ou trop cru leur soupirant), et leur reine Myrtha viennent hanter les nuits embrumées du cimetière du village pour punir les soupirants inconséquents. Nicoletta Manni a l’autorité nécessaire pour interpéter Myrtha, et fait preuve d’un engagement physique plein de majesté, tout en n’oubliant pas la légèreté qui sied à une créature éthérée. Vittoria Valerio reste peut-être un peu trop terrienne dans ce 2ème acte, et le duo avec Claudio Coviello si juste au 1er acte ne décolle pas émotionnellement, même si le jeune homme délivre de superbes variations (et une impressionnante série de 36 entrechats six). La beauté et la poésie des tableaux magnifiés par les wilis maintient néanmoins le public sous hypnose, jusqu’à l’aube qui se lève et signe le salut d’Albrecht.
C’est rafraîchissant de constater qu’on peut encore aujourd’hui séduire un public, pas exclusivement balletomane ou habitué de l’opéra, en proposant un grand classique dans son jus. Ici, point de relecture contemporaine ou d’incursion dans le domaine de la psychanalyse, juste la poésie intemporelle de l’histoire de l’amour déçue d’une paysanne pour un prince sur fond de toiles peintes à l’ancienne.
Mots Clés : Antonino Sutera,Claudio Coviello,Giselle,La Scala de Milan,Nicoletta Manni,Vittoria Valerio