La dernière apparition de Ludmila Pagliero dans un grand ballet narratif remontait à plus d’un an à l’occasion d’une très belle prise de rôle dans l’Histoire de Manon. Entre une blessure et de trop courtes performances dans des programmes mixtes (Robbins lui sied à ravir), l’étoile phare de la transition Lefèvre – Millepied s’était faite rare cette saison et sa prise du rôle de Giselle à Paris (elle a déjà dansé le rôle en tournée) le 8 juin a signé son retour en pleine lumière. Un retour salué, chose assez rare à Paris, par des applaudissements à son entrée sur scène.
D’ailleurs, la Giselle de Ludmila Pagliero est comblée de tendresse dans le premier acte. Cela commence par le bouquet champêtre déposé par Hilarion (Vincent Chaillet) puis par les baisers en l’air, parfaitement audibles dans la salle, envoyés par Karl Paquette, un Albrecht solaire, séducteur sympathique et bon vivant, très vite pris à son propre jeu. C’est la petite favorite de tous, elle est entourée et protégée par l’affection bienveillante de la communauté villageoise, vantée pour sa modestie et son maintien par les grands seigneurs qui font halte dans la clairière. Comme souvent avec l’étoile, on ressent une cohésion entre elle et le corps de ballet, elle communique son énergie à l’ensemble du plateau bien secondée par Karl Paquette, maître es-pantomime. Dans ce premier acte, il ne se contente pas d’être le prince charmant dont rêve les jeunes filles, égaré dans la clairière, il rend bien le travestissement de son personnage en Loys, le paysan amoureux, une duplicité qui se manifeste aux travers des petits gestes qui trahissent son statut social.
Le pas de deux des paysans brillamment enlevé par Charline Giezendanner et François Alu s’inscrit ici totalement dans l’intrigue, et n’apparaît pas comme un divertissement accessoire.
Dans ce cadre champêtre idyllique où rien de mauvais ne semble pouvoir arriver, le mensonge initial d’Albrecht – Loys et la jalousie d’Hilarion ont introduit le ver dans le fruit. La douleur et la folie de la Giselle de Ludmila Pagliero sont à la mesure du contraste entre le monde fait de rires, de danses et de fleurs de la jeune fille et le monde réel gouverné par des passions humaines « mauvaises ». La danseuse nous livre ici un grand numéro d’actrice et de danseuse : il y a quelque chose d’effrayant et de profondément émouvant dans son expression faciale au moment où autour d’elle « son monde » se fige et se disloque.
J’attendais le deuxième acte de Ludmila Pagliero car, au fil de ses prises de rôles, elle s’est avérée souveraine dans les actes blancs (Dulcinée dans Don Quichotte, la Sylphide, Odette du Lac des Cygnes, la Belle au Bois Dormant du 2ème acte). L’émotion est encore une fois au rendez-vous avec des pointes qui semblent flotter au-dessus du plancher, une rapidité d’exécution surnaturelle et un travail particulièrement silencieux sur les réceptions des grands sauts. La jeune villageoise si pleine de vie et d’envie de danser du premier acte s’est transformée en une créature évanescente, qui a abandonné son enveloppe corporelle mais pas encore ses passions terrestres. On retrouve le Karl Paquette qu’on aime, romantique, partenaire attentif à faire briller sa partenaire dans les pas de deux, sans oublier d’être généreux dans l’effort en nous gratifiant de 32 entrechats-six. Je n’ai pu m’empêcher de verser une petite larme lorsqu’il voit Giselle disparaître dans sa tombe et s’étend sur celle-ci comme pour une dernière étreinte. J’avoue que je n’avais jamais remarqué plus que cela Fanny Gorse et que, sans atteindre les sommets de la proposition d’Hannah O’Neill, sa Myrtha a été une belle découverte : quels bras qui n’en finissent pas, de l’élévation dans les sauts et beaucoup de sensibilité dans l’interprétation pour cette prise de rôle.
Une soirée où le spectateur prend la machine à remonter le temps … On se dit que Giselle, il y a un siècle, cela devait déjà être comme cela.
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