Le Ballet de l’Opéra National d’Ukraine a été régulièrement invité par le Théâtre des Champs Elysées dans le cadre de sa programmation de fêtes, avec de belles productions classiques de Casse-Noisette et du Lac des Cygnes portées par une troupe d’un très bon niveau et des solistes remarquables, en particulier les danseuses. Cette saison, les classiques du ballet impérial russe ont été remisés par les danseurs ukrainiens, un acte patriotique en réaction au conflit russo-ukrainien. La compagnie devait initialement emmener dans ses bagages une production inspirée du conte d’Andersen, la Reine des Neiges : les conditions de vie à Kiev et la difficulté pour les danseurs à répéter dans des conditions correctes en ont décidé autrement, il a donc fallu trouver une solution de repli et c’est finalement Giselle qui a été présentée.
Si Giselle, chef-d’œuvre du ballet romantique, n’est peut-être pas le choix le plus adapté pour un public familial, la magie du ballet classique opère pleinement avec cette production tout sauf clinquante, que certains pourraient qualifier de totalement désuète. J’ai rarement été aussi captivée par le premier acte de Giselle : la plupart du temps, la pantomime n’est pas très expressive, les danseurs « occidentaux » ont tendance à moderniser l’interprétation et le personnage d’Albrecht, s’il ne joue pas les potiches côté cour, est parfois difficile à cerner, tandis que l’interprète de Giselle est tentée de surjouer la scène finale de la folie. Les danseurs ukrainiens interprètent l’histoire au premier degré, et chacun sur scène, du plus petit rôle à l’étoile, est pleinement engagé dans la narration et contribue au crescendo dramatique.
Albrecht, dansé par Sergii Kryvokon, est sincèrement amoureux de Giselle, la petite paysanne. Dans la scène d’introduction, on voit son écuyer (un rôle souvent complètement transparent) le rappeler à ses devoirs, mais il n’en fait qu’à sa tête, porté par l’euphorie du sentiment amoureux. Le contraste est intéressant entre la haute stature et les lignes élancées de danseur noble de Sergii Kryvokon et la silhouette plus trapue, plébéienne, de Kostiantyn Porzharnytskyi, Hilarion. Loin d’être le prétendant insistant à la limite de la violence que donnent à voir d’autres versions, il se montre aussi profondément amoureux, d’une manière plus simple et raisonnée, et capable de délicatesse envers Giselle, notamment dans le final de l’acte. Natalia Matsak s’avère une Giselle de tout premier ordre : la diagonale de ballonés est enlevée magistralement et la scène de la folie, relativement mesurée, ne semble pas sortir de nulle part. Enfin, l’autre morceau de bravoure du premier acte, le Pas de Deux des Paysans, est peut-être légèrement en deçà, dansé plus en force pour le soliste masculin que ce que nous avons l’habitude de voir à Paris.
Natalia Matsak est encore plus captivante dans le second acte : sa Giselle au royaume des Willis me fait penser à celle de Svetlana Zakharova. Sergii Kryvokon est un partenaire attentionné et les portés sont d’une grande beauté, rendus encore plus spectaculaires par la taille du danseur. Je trouve assez intéressant la façon dont apparaît Myrtha ici : Iryna Borysova nous fait ressentir qu’avant d’être la reine des Willis, impitoyable juge des amoureux volages, elle a aussi été une femme amoureuse, et je trouve là aussi que la pantomime où Giselle se fait l’avocate d’Albrecht ou celle où Albrecht implore la clémence sont très lisibles.
Bravo aux danseurs pour cette belle démonstration de résilience ! On ne peut être qu’impressionné par la qualité du spectacle si l’on pense à leur quotidien depuis presque un an. Saluons aussi la direction musicale de Dmytro Morozov et l’Orchestre Prométhée : la partition d’Adolphe Adam n’a pas toujours été aussi à la fête dans les fosses parisiennes.
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