Sans visibilité sur la reprise des salles de spectacle, l’Opéra de Paris s’adapte et c’est depuis l’écran de sa tablette que le vulgum pecus est invité au Gala d’Ouverture de la saison, d’ordinaire surfacturé et davantage un événement people pour les mécènes institutionnels et les donateurs fortunés qu’une célébration de la danse.

On redécouvre ainsi, pour la première fois depuis Giselle l’an dernier, le plateau de l’Opéra Garnier avec des danseurs, les spectacles de septembre se tenant sur la fosse d’orchestre couverte pour cause de travaux sur la cage de scène. Alexandre Neef et Aurélie Dupont apparaissent un court instant devant le rideau pour remercier les mécènes qui ont permis la réalisation de la soirée et sa diffusion gratuite sur la plateforme l’Opéra chez soi, avant de laisser la place au traditionnel défilé du corps de ballet et de l’Ecole de Danse rythmé par la Marche des Troyens d’Hector Berlioz.

J’avoue être partagée sur le maintien du défilé, avec les danseurs masqués, dans les conditions sanitaires actuelles.Il faut que le spectacle continue, mais il y a quelque chose de déprimant à voir les jeunes élèves de l’Ecole, le visage mangé par ces masques qui les privent de leur faculté de sourire, saluant devant une salle vide, là où d’ordinaire retentissent des applaudissements nourris et chaleureux. On se croirait dans un univers dystopique avec une division de jeunes embrigadés dans une secte: j’espère que ces jeunes artistes ne seront pas traumatisés à vie par ce qu’on leur fait vivre et que leur passion pour la danse sera la plus forte.

Avec les masques, difficile également de reconnaître ses chouchous dans le corps de ballet. La coupe Chéri Bibi de François Alu surprend, l’aura des étoiles brille quand même et on a le cœur serré devant le regard de biche effarouchée d’Emilie Cozette. Une pensée également pour la grosse majorité des danseurs de la troupe, hors solistes, qui ont très peu vu la scène depuis un an voire plus.

Le programme proposé ensuite est tout à fait classique pour ce type de soirée, et, heureusement, sans masques. La pandémie aura au moins eu le mérite de nous épargner une co-création branchée entre un chorégraphe en vogue, une maison de mode et un plasticien. Aurélie Dupont a donc puisé dans un répertoire éprouvé.

Le Grand Pas Classique d’Auber chorégraphié par Victor Gsovsky rappelle à ceux qui auraient pu l’oublier la vocation classique académique de la troupe. Pour l’occasion, Chanel a imaginé de nouveaux costumes d’un bleu nuit constellé de strass du plus bel effet. Valentine Colasante est vraiment la danseuse que j’ai envie de voir en ce moment: il y a une spontanéité, une joie de danser, une façon de s’amuser avec les difficultés techniques qui réjouissent le cœur. Après avoir été sa Gamzatti lors de la captation de la Bayadère, elle retrouve Hugo Marchand. Si le partenariat est sans accroc, ce n’est pas forcément celui qui envoie le plus de rêve à l’Opéra actuellement. Hugo Marchand nous offre par contre une démonstration de petite batterie de toute beauté: étonnant d’ailleurs de voir qu’au fil de sa progression, c’est dans ce registre, plus que dans les grands sauts auxquels semble le prédisposer son gabarit puissant, qu’il impressionne le plus.

La deuxième pièce est un des classiques de Jerome Robbins au répertoire parisien, In the Night, sur des nocturnes de Chopin. Sur fond de ciel étoilé, à l’occasion d’un bal dans la haute société, trois couples s’isolent, illustrant différents états amoureux: l’amour naissant est incarné par le duo Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio, l’amour passion par Léonore Baulac et Germain Louvet et enfin l’amour orageux par Alice Renavand et Stéphane Bullion. C’est ce dernier couple qui m’a le plus marqué, nous offrant un véritable petit film et donnant chair à la chorégraphie de Robbins. Le couple en brun (Léonore Baulac et Germain Louvet) est un peu à l’image de leur association fréquente sur scène: ils sont très mignons, mais un peu ennuyeux lorsqu’ils dansent ensemble. Je trouve assez curieux d’ailleurs que ce pas de deux qui m’a transportée, dansé par des étoiles du San Francisco Ballet, donnant à ressentir l’intensité de la passion, ne fasse passer que l’ennui d’un couple parfait en représentation lors des deux fois où je l’ai vu à Paris. Pour tout dire, j’aurais bien mis Mathieu Ganio avec Léonore Baulac comme deuxième couple, et associé Germain Louvet à Ludmila Pagliero pour le premier duo.

Enfin, William Forsythe est un peu l’ingrédient essentiel d’une soirée de Gala. Ouf, ce ne sera pas Blake Works I vu et revu ces dernières années, pas COVID compatible (trop de danseurs), mais the Vertiginous Thrill of Exactitude. Douze minutes tout en accélération sur le final de la 9ème Symphonie de Schubert, une brillante variation autour du vocabulaire de la danse classique, emmené tambour battant par un fabuleux quintet: Amandine Albisson, Ludmila Pagliero, Hannah O’Neill, Pablo Legasa (remarquable interprète de la gestuelle forsythienne) et Paul Marque, la nouvelle étoile parisienne. Comme nous avons hâte de traverser l’écran pour les retrouver « en chair et en os » dans une salle de spectacle.

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