Le Parc fait partie des quelques créations commandées à des chorégraphes contemporains qui ont réussi à s’imposer durablement dans le répertoire de l’Opéra. Pour cette 7ème reprise depuis 1994, le ballet d’Angelin Preljocaj occupera la scène de Garnier lors des fêtes de fin d’année face à la Belle au Bois Dormant à Bastille. Une certaine cohérence dans la programmation. D’un côté la relecture du ballet de Petipa par Noureev nous fait voyager du siècle de Louis XIV au règne de Louis XV. De l’autre, Angelin Prejlocaj offre sa vision de la Carte du Tendre, puisant son inspiration dans la littérature ou les œuvres picturales des XVIIème et XVIIIème siècles : le Parc évoque tour à tour la Princesse de Clèves, Marivaux, les Liaisons Dangereuses ou les peintures de Fragonard.
Durant une heure passionnante dans le cadre des Jeudis de Bastille, Laurent Hilaire a présenté cette œuvre, tantôt dans la peau du danseur étoile choisi par Angelin Preljocaj à la création du ballet, tantôt dans celle du maître de ballet en charge de remonter la pièce.
Après la diffusion du pas de deux du 2ème acte dans la captation de 1999 avec Isabelle Guérin et Laurent Hilaire, ce dernier nous a fait partager la genèse de l’œuvre. Pour sa première commande de l’Opéra, Angelin Prejlocaj a vraiment cherché à comprendre les spécificités de la compagnie, en allant voir de nombreux spectacles et notamment la Bayadère qui lui a permis d’appréhender l’intensité physique dont étaient capables les danseurs. On comprend également à demi-mots que le chorégraphe a cherché à rester consensuel et à ne pas choquer le public de l’institution (ce qu’il fera par la suite avec Casanova dont Laurent Hilaire se rappelle l’accueil mitigé). On retrouve Mozart, une construction classique en 3 actes avec un pas de deux à chaque acte, des ensembles, un vocabulaire chorégraphique très rigoureux. Preljocaj y ajoute son regard personnel sur l’amour et la sensualité.
Laurent Hilaire insiste sur la nécessité de bien choisir les protagonistes du ballet, le séducteur et l’amoureuse pudique: il faut qu’il existe une alchimie entre les deux, que le couple dégage une vérité sur scène (voire une vérité personnelle).
Au rayon des anecdotes, on append que le fameux pas de deux du 3ème acte n’a été créé qu’à 3 jours de la première (sur les 5 à 6 semaines du processus de création) lors d’une séance de 3 heures où Preljocaj en est arrivé à la conclusion qu’il voulait un « baiser qui vole ».
Pour cette reprise, Preljocaj supervise les répétitions sur scène une semaine avant le démarrage de la série. « Il y a des choses que lui seul peut apporter » précise Laurent Hilaire. Ces répétitions avec des costumes de théâtre qui pèsent lourd (notamment les manteaux du 1er acte) permettent aux danseurs de gérer les contraintes en termes d’endurance et de souffle qu’ils ne peuvent appréhender lors du travail en studio.
C’est en tout cas pour Laurent Hilaire un ballet qui compte dans son parcours artistique, et aujourd’hui, en tant que maître de ballet, sa plus grande satisfaction est que les danseurs soient aussi heureux que lui de l’interpréter sur scène et servent avec humilité la vision du chorégraphe.
Une spectatrice l’a interrogé sur quel était le ballet le plus difficile physiquement. Il considère que ce sont les ballets de Noureev. De « vrais sauts d’obstacles », mais c’est aussi quand on cherche son second souffle, que l’on arrive à donner le plus d’émotion. Il compare la version Noureev de la Belle au Bois Dormant avec ses 3 solos pour le Prince et la version d’Ashton qu’il a dansé en guest au Royal Ballet: « 1/2 solo et le pas de deux du 3ème acte, j’avais l’impression de voler mon argent ». In the Middle de Forsythe était également une expérience physique totale: au début d’une série, il y avait 20 danseurs, ils ont terminé à 9, et souvent ils étaient au bord de la nausée en coulisses. Il estime néanmoins que faire face à ce genre de contraintes, c’est enrichissant pour les artistes et cela les amène à se dépasser.
Pour cette série du Parc, les distributions sont prometteuses. Elles marquent également la fin d’une génération.
La distribution star est sans doute Nicolas Le Riche – Aurélie Dupont, mais je suis plus attirée par ce que peut proposer en terme d’émotion Isabelle Ciaravola, pour un de ses dernières apparitions, avec deux partenaires, Karl Paquette (ils étaient superbes ensemble dans la Dame aux Camélias) et Stéphane Bullion pour une prise de rôle prometteuse. Laetitia Pujol et Benjamin Pech, dans un registre qui convient à leur tempérament artistique, devraient séduire. Enfin, aux côtés d’Hervé Moreau, Alice Renavand est la seule non étoilée : une nomination en perspective, après une année remarquable ?
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