Surprise à la tête de l’Opéra de Paris. Pour succéder à Brigitte Lefèvre, ce n’est pas un candidat issu du sérail et dépositaire de l’héritage Noureev qui a été retenu mais le très médiatique Benjamin Millepied qui s’est bâti une belle notoriété de danseur et de chorégraphe aux Etats-Unis.
Depuis plusieurs mois déjà, les balletomanes s’interrogeaient sur le successeur de Brigitte Lefèvre en 2014 à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris. Les amoureux du répertoire classique votaient pour Manuel Legris ou Charles Judes, voire évoquaient l’ex-directeur du Bolchoï et brillant chorégraphe russe, Alexei Ratmansky. Nicolas Le Riche, bientôt retraité, était également sur les rangs. Laurent Hilaire, maître de ballet et bras droit de l’actuelle directrice, semblait avoir de nombreux atouts : étoile de l’ère Noureev, il maîtrise les arcanes et le répertoire de cette grande maison et il a une grande autorité naturelle. Les derniers temps, il était apparu plus fréquemment dans les médias : présentation du documentaire La Danse à Tout Prix, intervention au journal télévisé pour commémorer la mémoire de Noureev. Le 19 janvier, Brigitte Lefèvre, invité du Journal Inattendu sur RTL, lui réitérait son soutien.
Mais mercredi dernier, la twittosphère commence à bruisser d’une rumeur pour le moins surprenante : la désignation du nouveau Directeur de la Danse serait imminente, une conférence de presse est d’ailleurs convoquée par Nicolas Joël et Stéphane Lissner le jeudi midi et l’élu serait Benjamin Millepied. Le suspens est à son comble et est éventé 2 heures avant la conférence de presse par le New York Times. Ce qui pouvait presque passer pour un canular au départ est confirmé.
Pourquoi un canular? Parce qu’avec Benjamin Millepied, on sort du petit monde des initiés de la danse pour entrer, sans être péjoratif, dans le monde de « l’entertainment ». Des millions de personnes connaissent sa silhouette pour l’avoir vu sur grand écran faire danser Nathalie Portman dans Black Swan, tourbillonner dans les nuages sur la chorégraphie du Parc pour une publicité Air France ou jouer les mannequins pour une fragrance Yves Saint-Laurent. Il s’est affiché en 2010 sur les tapis rouges et les photos des magazines people aux côtés de Nathalie Portman, une des reines du box-office hollywoodien, devenue depuis sa femme. C’est donc un gros coup de communication pour l’Opéra de Paris et l’assurance d’un pouvoir de séduction accru sur les mécènes américains en ces temps de crise.
Mais ce n’est pas que cela, car, avant ce boom médiatique, Benjamin Millepied était un talentueux danseur, qui, après une formation à Lyon et à la School of American Ballet, un prix au Concours de Lausanne, intègre le New York City Ballet où il deviendra étoile en 2001 à 25 ans. Il y danse le grand répertoire américain de son mentor, Jérôme Robbins, et de Balanchine notamment. Il se lance parallèlement dans la chorégraphie où son talent est très vite apprécié et lui vaut des commandes pour le Théâtre Mariinski et l’Opéra de Paris.
En 2010, dans la foulée de sa participation au film Black Swan en tant que consultant, chorégraphe et danseur, il quitte le New York City Ballet pour fonder à Los Angeles sa propre compagnie, LA Dance Project.
Ce CV lui assure donc la légitimité pour prendre le poste. Il ne semble cependant pas très facile de succéder aux 20 ans de management de Brigitte Lefèvre : une grande partie de la troupe n’a connu que la Directrice de la Danse, les étoiles lui doivent leur carrière. Nul doute que le nouveau directeur, âgé de 35 ans seulement et plus jeune que certaines étoiles, va devoir composer avec ou bousculer certaines habitudes. Il peut aussi s’avérer un catalyseur pour valoriser de nouveaux talents ou redonner l’envie à des danseurs oubliés dans l’ère précédente.
On relira d’ailleurs avec intérêt un article de The Independant en octobre dernier :
« Avant tout, témoigne l’un de ses danseurs, c’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut dans la vie, dans l’art, en tout. »
Parmi les points à retenir dans ces premières interventions, on notera en particulier ses propositions d’en finir avec les trop longues séries de représentations, d’aider au développement de chorégraphes maison et d’ouvrir de nouveaux horizons aux danseurs hors des murs de l’Opéra ainsi que sa volonté d’aller vers le public pour lui expliquer les spectacles.
On peut s’inquiéter sur la part du grand répertoire classique dans les saisons que concoctera Benjamin Millepied. Il a lui-même très peu été confronté à ce répertoire dans sa carrière, mais, en bon américain d’adoption, il ne peut pas ignorer que ce sont Casse-Noisette et le Lac des Cygnes qui remplissent les caisses. Toujours dans l’article de The Independant, il reconnaît :
« Je ne pense pas que les gens sortent de Black Swan en pensant que le monde du ballet est horrible. La preuve en est que le Lac des Cygnes était donné à guichets fermés dans le monde entier et l’est encore grâce au film. »
Cela ne pourra guère être pire que la saison actuelle qui propose seulement deux ballets strictement classiques, Don Quichotte et La Sylphide.
Autre interrogation : le ballet va perdre la saison prochaine quelques uns de ses cadres, Agnes Letestu, Isabelle Ciaravola et Nicolas Le Riche. S’empressera-t-on de nommer de nouvelles étoiles pour les remplacer ou laissera-t-on ce privilège au nouveau directeur ?
Autant de questions dont la résolution va nous passionner dans les mois à venir, en parallèle d’une saison 2013-2014 très dense où Benjamin Millepied pourra faire un état des lieux de la compagnie au travers de la Belle au Bois Dormant, la Dame aux Camélias, Onéguine, Notre Dame de Paris et l’une de ses créations Daphnis et Chloé.
A lire en complément: un long portrait publié dans le Monde en 2011.
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