Pour son retour à Paris, le Béjart Ballet Lausanne inaugure l’année 2024 sous les ors de l’Opéra Garnier. Les conséquences du COVID sont presque le moindre des maux que la compagnie fondée par Maurice Béjart ait eu à affronter depuis sa dernière visite. Une succession de scandales avec harcèlements sexuel et moral pour toile de fond ont abouti à la fermeture de l’école associée au BBL et à une remise à plat de la gouvernance de la compagnie. Gil Roman, bien qu’au cœur de la tourmente, a conservé sa place à la direction artistique.
Le programme de construction très classique présente en première partie un ballet de Gil Roman qui dialogue avec les œuvres du répertoire de Maurice Béjart sélectionnées pour la deuxième partie.
Créé en 2019, Tous les Hommes Presque Toujours s’Imaginent peut laisser sceptique au départ avec son naufragé, sa tribu qui danse à la manière de Bollywood et le curieux artefact (un globe transparent) que tous semblent convoiter. On peut craindre un pensum New Age surfant sur l’héritage du Maurice Béjart fasciné par les spiritualités. Néanmoins, la mayonnaise prend, notamment grâce à l’univers musical aussi intriguant qu’éclectique du compositeur John Zorn, au centre du projet de Gil Roman. L’imaginaire du spectateur est pleinement mis à contribution. Le naufragé héros, LUI, (Vito Pansini) évoque un Ulysse des temps modernes ou un migrant à la recherche d’un monde meilleur qui échoue sur la plage d’une île où règne une sorte de Circé, incarnation de l’idéal féminin, ELLE (Jasmine Cammarota). ELLE a une cour qui vit dans la sérénité et la beauté, les Anges, tout de blancs vêtus, protégés par un mur des autres habitants de l’île, moins favorisés ou échoués dans ce havre de paix. L’excellence technique des danseurs brille dans des ensembles réglés au cordeau, mais qui respirent la joie de danser. Il y a notamment un magnifique passage central à l’ambiance très jazzy mettant en scène les Anges en duo. Gil Roman réussit à instaurer progressivement une véritable tension dramatique et l’on se prend à avoir envie de savoir si LUI va réussir à conquérir le cœur d’ELLE et réconcilier le monde d’en bas et celui d’en haut.
Au retour de l’entracte, on retrouve des prédécesseurs d’ELLE et LUI dans le répertoire béjartien, pour 3 duos exceptionnels qui sont aussi un témoignage des pérégrinations spirituelles de Maurice Béjart. Il y a d’apport l’hindouisme et le fascinant Bhakti III dont le solo de la déesse Shakti a été dansé tant de fois sur cette scène à l’occasion des Concours de Promotion. Mari Ohashi y est sublime. Le duo avec Alessandro Cavallo est très sensuel et impressionnant techniquement. Sur les pas d’un Béjart converti à l’islam et féru de soufisme, le Duo extrait de Pyramide – El Nour, ballet fresque historique sur l’Egypte, est un pas de deux plus classique où l’on peut admirer Valerija Frank (déjà repérée parmi les Anges de la première partie) et l’Etoile avec un E majuscule de la compagnie, Julien Favreau. Dibouk, le dernier duo, influencé par le judaïsme, est plus théâtral, et j’adore la poésie qui se dégage de cette chorégraphie portée par des musiques traditionnelles juives. Le programme est clôturé par les 7 Danses Grecques, jubilatoire chorégraphie d’ensemble qui se réapproprie le folklore grecque au son des compositions entêtantes de Míkis Theodorákis. Que cette troupe est belle et le soliste Alessandro Cavallo semble tout droit descendu de l’Olympe!
Voici une superbe entrée en matière pour 2024 et quel plaisir de revoir une compagnie invitée digne de ce nom à l’Opéra Garnier.
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