Cela faisait très longtemps que la compagnie Alvin Ailey n’avait pas posé ses valises à Paris. Du temps des Etés de la Danse, la troupe était une invitée régulière (2006, 2009, 2012, 2015, 2017) de ce festival animé par Marina de Brantes et sa fille Pia. Le secret de cette assiduité, c’est que la danse contemporaine aux accents afro-américains des danseurs d’Alvin Ailey plaît au plus grand monde, au-delà du petit cercle des amateurs de danse, et permettait d’assurer la rentabilité de la manifestation annuelle. Las, le COVID est passé par là et il a fallu attendre 8 ans pour retrouver les danseurs américains.

Pour cette tournée, la compagnie alterne deux programmes, un programme avec des pièces inédites et un programme avec des pièces bien installées dans le répertoire. Mais, il y a quelque chose d’immuable, chaque représentation est clôturée par Révélations, le ballet emblématique créé par son fondateur en 1960.

Révélations – Photo: Alvin Ailey American Dance Theater

Alvin Ailey a donné son nom à une troupe qui devait honorer la culture noire à travers la danse en 1958, donc on peut considérer, au sens propre, que Révélations est l’œuvre fondatrice des danseurs d’Alvin Ailey, celle par rapport à laquelle se définissent toutes les autres œuvres de leur répertoire passé, présent et à venir. C’est l’œuvre qui fait revenir immanquablement le public et, dans la salle du Palais des Congrès, ce samedi 19 octobre, certains spectateurs n’étaient là que pour cela, en témoignent les applaudissements compulsifs à l’ouverture du rideaux après le deuxième entracte et à la clôture de chacun des tableaux de ce voyage aux sources du gospel et du negro-spiritual. Je suis étonnée de la fraîcheur de l’interprétation de cette chorégraphie dansée et redansée par les artistes (jusqu’à 2 fois par jour sur cette tournée) et de leur capacité à nous toucher instantanément, bien plus qu’avec les chorégraphies qui semblent plus élaborées qui ont précédé. Si les parties les plus lumineuses ont un côté folklorique assumé, je suis à chaque fois profondément émue par les tableaux plus graves, l’ouverture incroyablement puissante ou le solo masculin introspectif « I wanna be ready ».

Révélations – Photo: Alvin Ailey American Dance Theater

Après la mort d’Alvin Ailey en 1989, il a fallu se réinventer pour sa troupe sous la houlette de Judith Jamison (aujourd’hui directrice artistique émérite), la danseuse star de la compagnie choisie par le maître pour lui succéder. Faire vivre l’héritage du chorégraphe mais également rester en prise avec le monde d’aujourd’hui en faisant appel d’autres chorégraphes pour enrichir le répertoire, en respectant l’ADN et les missions originelles de la compagnie. En ce sens, les deux autres œuvres proposées dans le programme sont significatives.

Following the Subtle Current Upstream – Photo: Alvin Ailey American Dance Theater

En entrée de programme, Following the Subtle Current Upstream (créé en 2000) nous présentait une autre facette de la compagnie, la technique de haut vol de ses danseurs. Le chorégraphe Alonzo King crée une chorégraphie virtuose qui fait penser à William Forsythe par sa façon d’utiliser les bases classiques et l’hyperextension des mouvements qui s’enchaînent dans un continuum épuisant sur des musiques du monde. Il y introduit néanmoins le petit truc en plus de la prestigieuse compagnie afro-américaine. Il n’y a pas que l’observation presque clinique des mouvements possibles du corps humain, il y a une dimension spirituelle prégnante: la communion de l’homme avec la nature dans les scènes du début, la communion de l’homme avec la femme dans le magistral pas de deux central sur la voix de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba ou encore le final avec ses faux airs de transe vaudou.

Dancing Spirit – Photo: Alvin Ailey American Dance Theater

Avec Dancing Spirit (créé en 2009), Ronald K. Brown rend hommage à la légendaire directrice de la compagnie Judith Jamison. Le personnage central de la pièce est un double de Judith Jamison. On peut voir le ballet comme une procession qui va crescendo au travers du temps, au travers de la trajectoire personnelle de Judith Jameson mais aussi au travers des âges de la compagnie. Cela commence piano dans une ambiance jazzy (Duke Ellington, Winton Marsalas) avec les danseurs qui se suivent, reproduisant les pas de celui qui les précèdent, pas plus de 3 sur scène, chacun dans un halo de lumière, puis des duos se constituent avec un duo qui se démarque. Comme une métaphore de la création de la compagnie et de la collaboration artistique entre Alvin Ailey et Judith Jameson. Dans la deuxième partie au son des groupes Radiohead et War (groupe funk dont les valeurs sont proches de celles de Ailey), les danseurs font groupe avec la figure tutélaire de Judith Jameson qui les guide vers un nouveau répertoire, où la modern dance des débuts se métisse de danses issues de la culture urbaine.

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