Dans la succession de programmes mixtes occasionnellement interrompue par un ballet narratif, qui est un peu le standard de l’Opéra ces derniers temps, il fallait remonter à plus d’un an pour trouver une pièce de Jerome Robbins. Oubli réparé avec En Sol qui trône au milieu d’un triptyque consacré à Maurice Ravel réunissant La Valse chorégraphiée par George Balanchine, entrée tout comme En Sol en décembre 1975 au répertoire de l’Opéra de Paris, et l’une des dernières créations de l’ère Brigitte Lefèvre, le Boléro revisité par Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet.

La Valse – George Balanchine

J’ai découvert la Valse l’an dernier au Théâtre Châtelet à l’occasion de la tournée du New York City Ballet et j’avais été saisie par le romantisme noir qui émanait de ce ballet semi-narratif, la menace iminente de guerre qui plane sur les amours des protagonistes dans le premier mouvement rythmé par les Valses Nobles et Sentimentales et qui se concrétise dans l’inquiétant deuxième mouvement empreint de fantastique, au son du poème symphonique la Valse inspiré à Ravel par la Première Guerre Mondiale.

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J’avoue ne pas avoir retrouvé dans l’interprétation des danseurs parisiens ce qui m’avait tant plu cet été : le sentiment d’urgence (« dépêchons nous de nous aimer avant qu’il ne soit trop tard »), la façon dont chaque protagoniste des 8 valses du premier mouvement racontait une petite histoire et enfin la dernière partie résolument narrative où les passions s’emballent.

Sae Eun Park et Florian Magnenet

Sae Eun Park et Florian Magnenet

C’est très bien dansé, mais cela pourrait tout aussi bien être un Balanchine abstrait. On apprécie la danse ciselée de Mélanie Hurel et Emmanuel Thibault, les envolées spectaculaires de Valentine Colasante mais seuls Sae Eun Park et Florian Magnenet apportent le supplément d’âme attendu dans cette œuvre. Le couple vedette, constitué de Dorothée Gilbert et Karl Paquette m’a également un peu déçue, là aussi pas à cause de la qualité de la danse. Dorothée Gilbert est au sommet de son art, mais je l’ai trouvée ici trop souriante, pas assez tragédienne. Karl Paquette est le partenaire balanchinien parfait, comme il l’a prouvé encore dernièrement dans le Songe d’une Nuit d’Eté, mais je ne suis pas sûre que Dorothée Gilbert soit la partenaire idéale pour lui (on les sent plus sur le registre de la camaraderie et du flirt que celui des sentiments profonds) : dommage de ne pas l’avoir vu danser avec Ludmila Pagliero qui était initialement prévue avec lui. L’apparition d’Audric Bezard en cavalier de la Mort apporte trop brièvement le trouble et le malaise que l’on a peu ou pas ressenti jusque-là.

Dorothée Gilbert, Audric Bezard et Karl Paquette

Dorothée Gilbert, Audric Bezard et Karl Paquette

En Sol – Jerome Robbins

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Après l’ambiance crépusculaire de la Valse, Jerome Robbins nous invite aux bains de mer pour évoquer les amours estivales aux accents parfois jazzy du Concerto En Sol majeur de Ravel. En Sol, c’est le croisement entre le Robbins chorégraphe de comédies musicales et le Robbins romantique de Dances at a Gathering. Les danseurs jouent avec humour ces scénettes de bord de mer, mettant aux prises jeunes filles en fleur et garçons de plage, dont les silhouettes sont joliment soulignées par les costumes d’Erté. Au centre de la pièce, il y a la rencontre du garçon rêveur, Mathias Heymann, et de la blonde ingénue, Myriam Ould-Braham, et ils sont comme souvent à l’unisson, tout en légèreté et en poésie, suscitant l’un des instants magiques dont ils ont le secret.

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Boléro – Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

En 2014, Brigitte Lefèvre a fait appel au duo belge Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, accompagnés de la «performeuse» serbe Marina Abramovic pour créer une nouvelle chorégraphie sur le tube de Maurice Ravel, le Boléro. Contrairement à la version mythique de Béjart qui magnifie un danseur superstar sur une table autour duquel gravite les autres membres du corps de ballet, Cherkaoui et Jalet ont imaginé une pièce en forme de rituel pour un groupe de 11 danseurs dont n’émerge aucune individualité. Les danseurs évoluent en solos complémentaires ou en duos autour d’un centre vide, magnétique, qui les attire jusqu’à les absorber. Ils sont à la fois en rotation sur eux-mêmes et autour des autres, avec une attraction vers le centre qui s’intensifie tout au long de la pièce en même temps qu’ils sont à la recherche de la fusion avec l’Autre/leur double.

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Je retrouve plus ou moins les mêmes impressions que lors de ma découverte de la chorégaphie : c’est un ballet qui en met plein la vue avec une scénographie spectaculaire alliant un miroir géant réfléchissant la scène et des jeux de lumière sublimes et hypnotiques, mais la chorégraphie met-elle vraiment en mouvement la partition de Ravel? Je la trouve même presque anti-musicale par moment, et l’on se demande ce qu’apportent les danseurs de l’Opéra de Paris, quasi «anonymisés», à cette œuvre que n’aurait pas pu apporter n’importe quelle troupe contemporaine.
Grosse ovation pour ce Boléro, qui a au moins le mérite de se vouloir populaire. L’occasion aussi de saluer le beau travail de l’orchestre très bien dirigé par le jeune Maxime Pascal.

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