Quand des chaînes à péage (la française Canal + et l’américaine HBO) s’emparent de la danse, cela donne des documentaires assez différents dans la forme qui ont pour point commun de capturer l’image d’une compagnie majeure (l’Opéra de Paris et le Bolchoï) à une période charnière de leur vie.

En bref

Relève 

Relève, c’est l’histoire de la genèse de Clear, Loud, Bright, Forward, le ballet de 30 minutes chorégraphié par Benjamin Millepied pour l’ouverture de sa première saison en tant que Directeur de la Danse du Ballet de l’Opéra de Paris. En filligramme, c’est aussi l’histoire d’un changement d’ère dans une institution marquée par les 20 ans de direction de Brigitte Lefèvre.

Bolshoi Babylon

En janvier 2013, Sergei Filin, le directeur artistique du Bolchoï, est agressé par un homme qui lui jette de l’acide au visage. Ce fait divers émeut le monde de la danse mais braque aussi les projecteurs de la presse d’investigation sur la prestigieuse compagnie car il contient tous les ingrédients d’un thriller palpitant : rivalités pour obtenir des rôles, effet miroir entre le monde du théâtre et le monde réel avec un Mauvais Génie (Pavel Dmitrichenko) qui s’en prend au Prince idéal (Sergei Filin), corruption et mafias. En septembre 2013, Mark Franchetti, correspondant du Sunday Times à Moscou, et Nick Read, un réalisateur de films documentaires chevronné, notamment en zone de guerre,  se sont vus accorder un accès total aux coulisses du Bolchoï par  Vladimir Urin, le directeur général nommé à la suite des évènements pour remettre de l’ordre dans la maison. Bolshoi Babylon nous fait donc plonger dans l’envers du décor pendant la saison 2013 – 2014.

Le concept

Relève 

Pas de doute, on est bien sur Canal +. L’esthétique du documentaire répond au cahier des charges de la chaîne et cherche à séduire sa cible supposée, le jeune cadre urbain pressé dont le modèle revendiqué pourrait être justement Benjamin Millepied. Thierry Demaizière (connu pour ces interviews vérité de personnalités dans le magazine 7 à 8) et Alban Teurlei auraient pu intituler leur documentaire : «En immersion avec Benjamin Millepied ». Il est le personnage central du film : ce parti pris peut lasser par moment notamment dans les séquences introspectives qui paraissent fabriquées : Benjamin réfléchit, Benjamin chorégraphie, Benjamin s’évade des contraintes administratives barbantes, le tout illustré avec des images qui feraient un support idéal de publicité pour la marque à la pomme. Heureusement, le chorégraphe laisse tomber le masque en répétition, révélant la passion de la danse qui l’anime.

Les danseurs sont finalement peu mis en avant en tant qu’individualités mais plus comme les instruments de la création de Benjamin Millepied. On saura gré aux réalisateurs de ne pas s’être focalisés sur Léonore Baulac. Chez les filles, Marion Barbeau, Laetizia Galloni (pour le petit couplet sur la diversité) et Eléonore Guérineau ont le droit à un supplément d’exposition, tandis que chez les garçons, on repère Axel Ibot, Yannick Bittencourt et Marc Moreau.

Petit gimmick bienvenu qui fait sourire : les interventions de Virginia Gris de la régie de la danse qui veille sur l’agenda de l’homme pressé et le traque dans les méandres de Garnier.

Le travail du jeune directeur musical Maxime Pascal avec Nico Muhly constitue également une respiration appréciable et rafraîchissante dans cet ensemble souvent un peu trop lisse.

Bolshoi Babylon

Sous la forme d’un documentaire d’investigation au sein d’une institution culturelle emblématique de la Russie, Bolshoi Babylon se veut aussi une radioscopie de la Russie d’aujourd’hui. Aux yeux des réalisateurs, les  supposées corruptions internes à la compagnie sont le reflet de ce qui se passe dans la société russe et l’intérêt dans les plus hautes sphères du pouvoir pour la bonne marche du théâtre renforce cette impression. On apprécie néanmoins que l’ensemble ne tourne pas à une charge anti-Poutine caricaturale.

L’enquête sur l’aggression de Sergei Filin intéresse finalement assez peu les réalisateurs : si vous n’aviez pas suivi l’affaire, vous risquez d’ailleurs d’être un peu perdu. Ce sont plus les conséquences de ce séisme qui sont analysées à travers la relation entre le nouveau directeur Vladimir Urin, adepte de la real politik, et Sergei Filin de retour à son poste physiquement diminué. Les deux hommes ont un passé conflictuel au Théâtre Stanislavsky, ce qui condamne à plus ou moins long terme leur collaboration au Bolchoï.

Parmi les témoins, 3 danseuses (et curieusement aucun danseur), Maria Allash, l’étoile en fin de carrière qui a dansé avec les différents protagonistes de l’affaire (Sergei Filin, Pavel Dmitrichenko ou encore Nikolaï Tsiskaridzé), Maria Alexandrova, étoile virtuose qui revient de blessure et Anastasiya Meskova, soliste en quête de rôles et de reconnaissance et mère célibataire. On est toujours frappé par le dévouement des artistes à leur art, ce sentiment d’insécurité et que rien n’est jamais acquis même pour ceux qui sont au sommet de la pyramide.

Il faut bien avouer que l’ambiance générale du documentaire est assez pesante et que les extraits de spectacles filmés depuis les coulisses sont des plages apaisantes dans cette heure et demi centrée sur les relations entre art et politique.

Qu’apprend-on en coulisses?

Relève 

On découvre le bureau de Benjamin Millepied, une simple loge.

Pas d’étoiles à l’horizon, si ce n’est Benjamin Pech qui se positionne comme une pièce incontournable dans le dispositif Millepied, aux côtés de Sébastien Marcovici, passé par l’Ecole de Danse et ex-étoile du New York City Ballet.

Au détour d’une brief entre Benjamin Millepied et son assistante, on aperçoit une vidéo d’archive de l’opéra d’une pièce que le directeur veut absolument refaire : vu de loin cela ressemble à une œuvre de Martha Graham.

On comprend également que Benjamin Millepied ne fait pas forcément l’unanimité parmi les danseurs : certains anciens voient d’un mauvais œil les changements, c’est lui-même qui le dit ainsi qu’Axel Ibot au cours de l’une des rares interventions de danseur. Très américain dans son approche du management, le jeune directeur trouve l’inspiration dans un vademecum sur le lean management qui explique comment devenir un leader visionnaire. Dimitri Chamblas, ami des années d’apprentissage à qui il a confié la 3ème scène, explique que, si Benjamin Millepied s’ennuie dans son nouveau costume, il ne restera pas. L’impression que l’on retient en le voyant, bouillonnant d’idées et d’enthousiasme face aux tracasseries administratives et sociales de l’Opéra est effectivement que son mandat ne s’envisage sans doute pas sur plus de 5 ans. C’est lorsqu’il est en studio ou lorsqu’une larme pointe sur ses paupières en regardant danser Léonore Baulac et Hugo Marchand qu’on le sent le plus dans son élément.

Bolshoi Babylon

Sergei Filin ne sort pas forcément grandi du documentaire. S’il est respecté en tant qu’un des grands danseurs de l’histoire de la compagnie, en tant que manager, il apparaît comme un personnage trouble et certaines séquences laissent entendre qu’il n’est pas totalement innocent des révélations faites durant le procès de  Pavel Dmitrichenko. A contrario  Vladimir Urin a le beau rôle, et on ne peut s’empêcher de penser que  ce film  permet de justifier le retrait de Sergei Filin.  S’il n’est pas un manager irréprochable, ce dernier  garde un sens de la dramaturgie et la capacité à capter la lumière d’une étoile : les scènes les plus marquantes sont celle  où, devant le board du ballet, il retire ces lunettes noires (dévoilant son visage et son regard abîmés) ou encore le violent recadrage, presqu’un affront, que Vladimir Urin lui fait subir devant toute la troupe médusée.

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