Même si l’on fait mine de mettre en avant les créations de la saison, force est de constater qu’il n’y a rien de tel qu’un Lac des Cygnes pour faire grimper la fièvre d’avant spectacle et pour remplir l’immense salle de Bastille. Pour la première, la distribution était prestigieuse puisqu’on dénombrait pas moins de trois étoiles et sept premiers danseurs sur scène.
Comme toujours chez Noureev, la production est somptueuse, mais ici, aucun kitch ou aucune surcharge, le cadre de l’action consiste en un sobre palais néo-classique avec vue sur le lac titre, une toile peinte évoquant les Nymphéas de Monet qu’un jeu de panneaux coulissants fait apparaître ou disparaître selon que la scène se déroule à la cour ou au bord du lac. Les costumes de cour dans de délicates teintes pastel rappellent les fresques de la Renaissance italienne.
Cette relative simplicité permet de faire ressortir la relecture psychanalytique que Noureev fait subir à la légende nordique qui sert d’argument au plus emblématique des ballets classiques.

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Dans la peau du prince Siegfried à la psyché tourmentée, auquel on devine que Noureev s’est identifié, Mathias Heymann fait preuve d’une sensibilité qui va droit au coeur du spectateur. Le 1er acte permet d’explorer la relation pour le moins ambiguë entre le prince et son précepteur Wolfgang, un Karl Paquette machiavélique à souhait, dont la grande cape noire fait écho au rêve initial du prince qui voit une jeune femme se faire enlever par un homme-rapace noir.

11-03-2015 Lac Rothbart web

Karl Paquette est Wolfgang / Rothbart

Mathias Heymann est un interprète plutôt timide, en dépit d’une technique superlative qui devrait en faire un monstre d’assurance sur scène. Cette timidité est ici un atout pour incarner un jeune homme un peu perdu, qui ne parvient pas à s’affranchir de l’emprise de son précepteur et subit les pressions maternelles pour se marier. Ainsi, les scènes de cour des célébrations de la majorité du prince revêtent un caractère presque fantasgamorique : est-ce la réalité ou une vue déformée par l’esprit du prince? Ce qui excuserait les quelques imprécisions du corps de ballet dans ces ensembles particulièrement retors. Plus que les morceaux de bravoure un peu vains tels que le pas de trois qui permet à François Alu et Valentine Colasante de briller avec une danse explosive et dynamique aux côtés de la toujours raffinée Eve Grinsztajn, on retiendra la présence maléfique de Karl Paquette, son pas de deux inquiétant avec le prince et une sublime variation mélancolique de Mathias Heymann (dans la veine de son Manfred).

Eve Grinsztajn et François Alu

Eve Grinsztajn et François Alu

Dans l’acte II, les songes du prince le conduisent dans un univers immaculé, peuplé de femmes-cygnes prisonnières du sortilège d’un sorcier Rothbart, double imaginaire de Wolfgang. Leur reine Odette est l’incarnation d’un amour idéalisée et pur. Ludmila Pagliero n’est jamais autant à l’aise que dans ce registre de la créature éthérée et romantique. Il y a une retenue pudique dans les pas de deux avec Mathias Heymann qui émeut aux larmes. La star de cet acte, c’est aussi le corps de ballet féminin parfaitement synchronisé, et notamment les quatre petits cygnes (Marine Ganio, Eléonore Guérineau, Pauline Verdusen, Aubane Philbert) dont la gestuelle traduit chorégraphiquement les mouvements de jeunes oiseaux.

11-03-2015 Lac Acte II Porté

Retour à l’univers frelaté de la cour pour l’acte III, avec comme metteur en scène Wolfgang. Construction classique pour cet acte avec une succession de divertissements où s’illustrent notamment Mélanie Hurel et Emmanuel Thibault (danse napolitaine), prélude à un grand pas de deux mythique détourné ici en un pas de trois entre le prince, Odile, le cygne noir, version “femme fatale” d’Odette et Rothbart / Wolfgang. Ludmila Pagliero s’avère être davantage un cygne blanc, son cygne noir, même si techniquement impeccable, semble un peu trop démonstratif et il lui manque la calme assurance de la prédatrice pleine de duplicité qui avance en terrain conquis.

Black Swan

Black Swan

Pas de happy end pour cette version du Lac: le IVème acte voit l’apogée de Rothbart/Wolfgang, porté par l’engagement dramatique de Karl Paquette. Le prince en cédant à la séduction d’Odile a signé l’arrêt de mort d’Odette. Le rêve prémonitoire se réalise et avec lui la mort symbolique des illusions de l’enfance pour le prince.

 

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