En ce début du mois d’avril, une des grandes compagnies de ballet américaines, le Boston Ballet, posait ses valises pour la première fois (en 55 ans d’existence) à Paris, plus précisément sur la scène du Théâtre des Champs Elysées, dont la programmation danse a décidément le chic pour faire l’événement et de l’ombre à celle de l’Opéra de Paris. A quelques jours de la première du programme León/ Lightfoot/ Van Manen à Garnier, le Boston Ballet présentait lui aussi une soirée réunissant deux maîtres du ballet contemporain, William Forsythe et Jirí Kylián.

On se rappelle que William Forsythe, qui s’était mis en retraite de sa propre compagnie, the Forsythe Company, faisait partie du projet de Benjamin Millepied pour le Ballet de l’Opéra de Paris, et qu’il devait chorégraphier de nouvelles pièces pour la troupe. Seul Blake Works I, son ballet sur l’album électro-soul de James Blake, aura vu le jour. Au sortir de l’aventure Millepied, William Forsythe a choisi de se fixer en tant que chorégraphe associé au Boston Ballet, une façon de boucler la boucle pour cet Américain dont la notoriété et la carrière se sont fait en Europe.

Le maître était présent à côté de la régie pour superviser ses deux pièces de la soirée, Pas./Parts 2018 et sa dernière création Playlist, et, visiblement, à 70 ans, son enthousiasme semble intact.

Pas./Parts 2018

Pas./Parts 2018 est la 3ème version d’une chorégraphie créée en 1999 pour le Ballet de l’Opéra de Paris et revisitée en 2016 pour le San Francisco Ballet. Le Pas./Parts de 1999 s’inscrivait dans une soirée d’anthologie réunissant notamment deux des chefs d’œuvres de William Forsythe, The Vertiginous Thrill of Exactitude and In the Middle Somewhat Elevated. Si Pas./Parts n’atteint pas les mêmes sommets, il s’inscrit néanmoins dans la même veine, celle d’un travail d’entomologie sur le vocabulaire et les codes du ballet, ré-assemblés pour explorer jusqu’à leurs limites les possibilités techniques des danseurs de formation classique d’aujourd’hui. Succession ininterrompue de 20 séquences courtes, alternant solos, duos, trios et petits ensembles, sur la musique électronique du complice habituel de William Forsythe, Thom Willems, Pas./Parts impressionne par la rigueur de sa construction, l’infinité des combinaisons. Néanmoins, là où les danseurs de l’Opéra de Paris transcendaient la mécanique forsythienne et lui insufflaient leur personnalité, la troupe du Boston Ballet reste à mon avis trop gentiment dans le cadre, ne restituant pas tout à fait l’énergie euphorisante de la chorégraphie, notamment dans le spectaculaire final avec un cha-cha-cha électronique et jubilatoire, qui se contente ici d’être décoratif.

Playlist

Avec Playlist, William Forsythe poursuit l’inspiration initiée avec Blake Works I, à savoir faire danser à une troupe classique une chorégraphie utilisant un vocabulaire exclusivement classique sur les musiques pop/soul/urbaine qu’ils écoutent sur les plateformes de streaming. Il va même plus loin : la musique de James Blake est plutôt pointue, ce n’est pas du tout le cas des morceaux utilisés pour cette Playlist, un peu comme si le chorégraphe s’était connecté sur une chaîne de radio thématique soul, funk et RnB sur Spotify. Blake Works I restait un objet chorégraphique classieux, derrière lequel on devinait une pointe de second degré, la vulgarité de Playlist est totalement assumée. Imaginez David Lynch réalisant un soap pour adolescents, c’est une bonne analogie pour situer Playlist dans l’œuvre de William Forsythe. Les danseurs grimés en American College girls and boys (tutus rose fuschia pour elles, looks façon équipe de footballeurs américains pour les garçons) échappent au ridicule, surtout le formidable principal John Lam, mais il manque pour moi le petit truc chorégraphiquement parlant pour faire décoller l’œuvre, cette impression de cousu main sur les danseurs qu’on ressentait après voir vu Blake Works I. On ne peut s’empêcher de sourire à la volonté affichée d’aller à la rencontre d’un public plus jeune avec ce type d’œuvre en jetant un coup d’œil à la moyenne d’âge du public du TCE.

Wings of Wax

Entre les 2 ballets de William Forsythe, s’insérait une œuvre de Jirí Kylián, Wings of Wax, établissant un parallèle entre le mythe d’Icare et le danseur voulant s’affranchir des lois de la pesanteur. Lorsque le rideau s’ouvre sur la très belle scénographie avec son arbre nu, suspendu aux cintres par les racines et un projecteur qui tourne autour de l’arbre, on se dit que la magie du chorégraphe tchèque va encore opérer. Les 4 couples de danseurs ne m’ont malheureusement pas fait ressentir grand-chose. C’est un peu le résumé d’une soirée, dominée par le souci de la beauté formelle, au détriment de l’incarnation.

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