C’est un peu de l’esprit originel de la Bayadère qui soufflait sur la scène de l’Opéra Bastille archicomble ce 21 décembre avec Kristina Shapran et Kim Kimin,  2 invités venus du Mariinsky, l’alma mater de Rudolf Noureev. Pour honorer ces invités, Héloïse Bourdon endossait le rôle de Gamzatti, après 2 Nikiya et quasiment tous les rôles du corps du ballet.

Solor et Gamzatti face à la mort de Nikiya

Solor et Gamzatti face à la mort de Nikiya

Si l’on ne devait retenir qu’une seule chose de la représentation, ce serait évidemment Kim Kimin. Ce danseur vole sur scène, et encore plus que l’élévation des sauts, c’est la rapidité d’exécution qui sidère. L’étoile coréenne propose une interprétation totalement maîtrisée du personnage de Solor, un physique qui colle avec l’image que l’on peut se faire du guerrier indien (pas un prince de conte de fées égaré en Inde), une pantomime lisible et une qualité de danse remarquable tant sur le plan de la technique individuelle que sur le plan du partenariat où il a mis en valeur ses deux ballerines de la soirée, remarquable « tourneur » et très sûr dans ses portés, réalisés avec une grande élégance et une apparente facilité.

Kim Kimin

Kim Kimin

Kristina Shapran n’est pas encore étoile au Mariinsky, mais elle est considérée comme un des grands espoirs de la compagnie et une des stars en devenir de la danse internationale. Le rôle de Nikiya n’est pas une véritable prise de rôle, puisqu’elle l’a dansé aux côtés de Sergei Polunin au Théâtre Stanislavski à Moscou. Là où je m’attendais à une démonstration de théâtralité à la russe, j’ai trouvé Kristina Shapran extrêmement sobre dans son inteprétation : sa Nikiya est empreinte de spiritualité, servante sacrée avant d’être une femme amoureuse, très consciente de sa dignité qui la met sur un pied d’égalité avec sa rivale Gamzatti, bien mieux née. Dorothée Gilbert réussissait mieux la synthèse entre les deux dimensions du personnage, notamment associée à Hugo Marchand. Ainsi, Kim Kimin ne se départ jamais d’une certaine déférence respectueuse vis-à-vis de sa partenaire, plaçant, dès le premier pas de deux, l’amour de Nikiya et de Solor sur un registre poétique et étranger aux considérations purement terrestres.

La Bayadère-21 décembre 2015-30

Kristina Shapran et Kim Kimin

L’intérêt dramatique des 2 premiers actes, et notamment du 2ème tableau du 1er acte, est soutenu par la présence d’Héloïse Bourdon qui impose Gamzatti comme le personnage le plus fort du triangle amoureux. Quand on voit cette présence sur scène, cette capacité à relever le défi technique redoutable du 2ème acte tout en restant son personnage, on ne peut que se désoler des résultats de concours de promotion qui n’ont pas voulu sourire pour des arguments plus ou moins rationnels. La jeune femme est en tout cas une bête de scène qui a l’art et la manière d’entraîner l’immense vaisseau de Bastille avec elle : ses fouettés magistraux en conclusion de la variation de Gamzatti lui valent une acclamation quasi comparable à celle suscitée par les prouesses virtuoses de Kim Kimin. Le 2ème acte est sans doute l’apothéose de cette représentation avec des solos de Nikiya où les superbes lignes de Kristina Shapran trouvent leur meilleur terrain d’expression. Les solistes et demi-solistes de l’Opéra se sont également attachés à fournir le plus bel écrin au trio principal : Pierre-Arthur Raveau délivre une variation de l’Idole Dorée frappée du sceau de l’élégance et du raffinement, Charline Giezendanner est la plus délicieuse des Manou, Sabrina Mallem et Fabien Révillion dynamitent la danse indienne.

Le Pas de Deux des Fiançailles

Le Pas de Deux des Fiançailles

Le 3ème acte est finalement un peu phagocyté sur le plan émotionnel par le Solor hors norme de Kim Kimin : l’image qui reste en mémoire, c’est ce manège de double-assemblés vertigineux exécuté avec une fluidité désarmante. C’est Solor, pourtant bien humain, qui semble planer alors que le fantôme de Nikiya est rattrapé par les lois de la pesanteur. Kristina Shapran n’a pas la vitesse d’exécution d’une Svetlana Zakharova ou d’une Dorothée Gilbert qui conférerait légereté d’une plume et évanescence à sa Nikiya, et, si les pas de deux sont superbement exécutés, je n’y ai pas ressenti la fusion de deux âmes.

Il n’en reste pas moins une soirée de haute volée sous le signe de la perfection formelle, à laquelle il ne manquait peut-être qu’un soupçon d’émotion dans le dernier acte pour emporter totalement le spectateur.

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