Au fil des distributions de ce Casse-Noisette de Noël, l’Opéra de Paris se découvre un réservoir prometteur de princes de ballet, derrière un chef de fil incontestable, Mathieu Ganio.

Clara et son prince

Premier candidat, Germain Louvet héritait de la partenaire la plus glamour et la plus “in”, Léonore Baulac, pour leurs premiers rôles principaux dans un grand ballet du répertoire alors qu’ils viennent tous deux à peine de passer sujets.

Dans le 1er acte, Léonore Baulac est une Clara solaire, un peu chipie et avec une forte personnalité. Cette forte personnalité contribue à la rendre peu crédible dans la scène du cauchemar, où elle ne parvient pas réellement à exprimer la terreur. Germain Louvet est encore un peu vert pour incarner Drosselmeyer, et l’on se dit au passage que cela ne serait pas plus mal de dissocier le rôle du parrain borgne de celui du casse-noisette qui se transforme en prince.

Couple très bien assorti physiquement, Germain Louvet et Léonore Baulac donnent leur pleine mesure dans le 2ème acte où ils font souffler un vent de fraîcheur sur le plateau dans leurs pas de deux fluides, dansés avec beaucoup de naturel et d’élégance. Alors que c’est vraiment un baptême du feu pour Germain Louvet qu’on n’a quasiment pas vu dans des rôles conséquents, hors de la soirée Jeunes Danseurs, on est surpris par son aisance dans le partenariat et sa solidité technique dans les solos où il ne danse jamais petit bras en dépit de la fatigue perceptible sur la fin. Paradoxalement, bien que plus exposée ces derniers temps, sa partenaire semble moins libérée dans ses solos, donnant le meilleur d’elle-même lorsqu’elle danse avec les autres.

Ils sont entourés par une distribution séduisante. On découvre dans un registre plus classique Charlotte Ranson et Adrien Couvez, piliers des créations contemporaines à l’Opéra. Au sein des divertissements, c’est la danse arabe qui recueille tous les suffrages avec Letizia Galloni, fascinante odalisque, très bien mise en valeur par Cyril Chokroun. La pastorale est également très équilibrée avec un trio composé de Daniel Stokes, Marion Barbeau  et Lydie Vareilhes qui déjouent avec brio les complications de la chorégraphie “noureevienne”, tandis que les trois chinois (Antonion Conforti, Antoine Kirscher et Pablo Legasa) rivalisent d’élévation dans leurs sauts.

Deuxième aspirant prince, Hugo Marchand s’est vu propulsé en haut de l’affiche suite à la blessure de Stéphane Bullion, pour danser aux côtés de Mélanie Hurel, de près de 20 ans son aînée, dont Clara est un des rôles fétiches. Le couple semble sur le papier assez mal assorti, entre la différence d’âge et la stature assez imposante d’Hugo Marchand aux côtés duquel Mélanie Hurel apparaît toute frêle.

Mélanie Hurel et Hugo Marchand

Finalement, ils parviennent à nous raconter une histoire, et le mérite en revient sans doute à Mélanie Hurel qui propose une vraie évolution du personnage de Clara tout au long du ballet et a du aider son partenaire dans une lecture plus adulte du conte. Sa Clara est une adolescente introvertie, peu sûre d’elle qui s’épanouit dans ses rêves jusqu’à triompher de ses terreurs dans les bras d’un prince sublime et protecteur qui s’avère présenter de nombreuses similitudes avec son parrain. Hugo Marchand se glisse avec aisance dans le costume de Drosselmeyer, faisant ressortir par petites touches le caractère étrange et tourmenté du personnage. Même lorsqu’il revêt l’habit de lumière du prince, on ressent une certaine dangerosité, notamment lorsqu’il surgit dans le cauchemar où Clara est aux prises avec les chauves-souris dont les têtes géantes présentent un troublante ressemblance avec sa famille: il la contraint sans ménagement à les affronter, puis l’entraîne dans un univers de divertissements émaillés de scènes galantes. Le final, avec le réveil de Clara et le départ de Drosselmeyer dans la nuit enneigée qui se dissimule aux yeux de sa filleule seule sur le pas de sa porte, prend avec ces interprètes une tournure quasi-dramatique.

Hugo Marchand et Mélanie Hurel

En plus de ce travail d’interprétation, Hugo Marchand a illuminé l’après-midi avec une danse alliant le physique et la musicalité, des réceptions précises et étonnamment silencieuses au vu de son gabarit. Le partenariat a semblé bien maîtrisé aussi, même si Mélanie Hurel est apparue tendue sur quelques passages. Mélanie Hurel n’est pas une danseuse qui se complaît dans la démonstration technique gratuite, il y a une intention dans sa danse, un souci du détail et du raffinement qui charment le spectateur notamment dans les passages dans la forêt. Elle perd un peu sa sérénité dans le Grand Pas de Deux sur la redoutable variation de la Fée Dragée où elle semble courir après la musique.
A noter également sur cette matinée, la prestation envoûtante de Florimond Lorieux, très charismatique aux côtés de Christelle Granier dans la danse arabe.

Globalement, sur ces deux distributions, on est frappé par l’engagement physique de la troupe : prise de risque, puissance dans les sauts, les demi-solistes ne s’économisent pas, espérant peut-être voir s’ouvrir à eux des rôles jusqu’alors inaccessibles. En tout cas, ces distributions inédites ajoutent un peu de sel dans la vie du balletomane, tout en enchantant les spectateurs très enthousiastes à la tombée du rideau.

Mots Clés : ,,,,,,,,,,,,,,,,
Share This