La compagnie du chorégraphe-dramaturge russe Boris Eifman était de passage à Paris au Théâtre des Champs Elysées pour présenter Up & Down, une adaptation chorégraphique du roman Tendre est la Nuit de Francis Scott Fitzgerald. Le sujet du roman paraît idéal pour la danse: le drame psychologique au centre duquel se trouve le couple Dick-Nicole (version fictive du couple formé par Francis Scott Fitzgerald et Zelda) a pour cadre la société cosmopolite de riches oisifs de la Riviera dans les années 20, un sujet rêvé pour imaginer des ensembles dansés sophistiqués lorgnant du côté de Broadway, des pas de deux et des solos dramatiques intenses en s’appuyant sur un montage de musiques de Gershwin, saupoudré de Schubert et de Berg.

Black & White

Ambiance Années Folles au Théâtre des Champs Elysées

 

Le pari est presque totalement réussi, grâce à des costumes magnifiques et une scénographie astucieuse qui recrée à moindre coût l’illusion des années folles, s’insérant parfaitement dans le cadre art déco du Théâtre des Champs Elysées. L’atmosphère visuelle évoque l’univers du réalisateur Vincente Minnelli, aussi à l’aise dans le musical que dans le drame sur fond de psychiatrie  (la Toile d’araignée). Tous les danseurs font preuve d’un sens théâtral très affirmé, et la qualité et l’originalité des portés font leur petit effet sur les spectateurs.

L’histoire n’est pas parfaitement lisible, mais on comprend la progression dramatique sans avoir lu le roman ou l’argument. Le point de vue est celui de Dick, alter ego de l’auteur, dont nous allons suivre l’ascension sociale et la déchéance psychique.

Le premier acte (le Up du titre) nous montre Dick, un jeune psychiatre talentueux, qui se voit confier par son père une pauvre petite fille riche névrosée. En soignant sa patiente, il découvre son milieu, un milieu gangrené par l’argent et l’oisiveté, et la cause de sa névrose (son père a abusé d’elle): il développe un attachement amoureux pour elle et se croit suffisamment fort pour la libérer de son milieu. L’acte se conclut par leur mariage. J’ai particulièrement apprécié l’inventivité des scènes avec les patients de la clinique psychiatrique. Les transitions entre le monde “réel” et ce qui se passe dans l’esprit tourmenté de Nicole sont un peu plus compliquées à apprécier et on peine à s’attacher aux personnages.

Dans le deuxième acte (le Down du titre), Nicole, Eve tentatrice, contraint son mari à abandonner sa carrière professionnelle pour le jeter dans le tourbillon d’une vie d’oisiveté : soirées mondaines, séjour sur la Riviera, détour sur un plateau de cinéma, autant de prétextes à des ensembles parfaitement chorégraphiés et très divertissants dans le style des revues musicales. L’amour de Nicole et de Dick ne résiste pas à cette frénésie : Nicole est rattrapée par l’appel plus puissant de ceux de sa caste, tandis que Dick sombre dans la dépression et se retrouve patient de son ancienne clinique. Là aussi, malgré la puissance de l’histoire, il manque un liant entre les scènes de pur “entertainment” et le drama-ballet aux pas de deux enfièvrés, et la déchéance de Dick survient un peu abruptement.

D’ailleurs, ce problème d’équilibre entre les deux versants du spectacle se ressent dans les réactions du public qui hésite à applaudir quand il le pourrait. Comme la première mondiale à Saint-Petersbourg ne date que de quelques semaines, on peut supposer que le chorégraphe sera à même de corriger ces défauts de jeunesse pour ses tournées à venir. Cela donne néanmoins très envie de découvrir d’autres œuvres du répertoire du ballet Eifman, d’inspiration plus russe, telles que la Giselle rouge ou Anna Karénine.

 

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