Co-production entre le Royal Ballet et l’Opéra de Paris, the Dante Project arrive sur la scène de l’Opéra Garnier 1 an et demi après sa création à Covent Garden. Cet ambitieux projet associe des talents majeurs de la scène artistique anglo-saxonne, le compositeur Thomas Ades, le chorégraphe Wayne McGregor et la plasticienne Tacita Dean, pour mettre en musique, en mouvement et en images un des piliers de la littérature occidentale, la Divine Comédie de Dante.

Le résultat est à la hauteur des deux grandes maisons qui l’ont commandité et, contrairement à d’autres créations récentes pas toujours très inspirées, on n’imagine à aucun moment ce spectacle total d’1 h 4O ailleurs que dans une salle d’opéra. Cette qualité s’avère paradoxalement être un défaut : on pourrait comparer the Dante Project à ces intérieurs imaginés par des grands noms du design, uniquement faits pour être regardés sur le papier glacé d’un magazine luxueux. J’ai admiré la perfection de l’ensemble, sans être vraiment émue. L’autre défaut est commun à la plupart des œuvres en gestation avant le COVID et qui ont bénéficié de délais plus importants pour la création, à savoir l’incapacité du chorégraphe à couper dans un matériel abondant. Il y a également le sentiment que Wayne McGregor n’a pas su rendre complètement justice à la partition d’une fascinante beauté de Thomas Ades qui dirigeait lui-même l’Orchestre de l’Opéra. Contrairement à un William Forsythe auquel le style de Wayne McGregor, basé sur une technique classique (sur pointes pour les femmes), doit beaucoup, il y a un manque de nuances, la recherche systématique de la performance physique extrême, très premier degré, qui contribuent au côté glaçant du travail de l’Ecossais.

Avant d’aborder la soirée, on ne saurait trop recommander au spectateur de se reporter à la notice Wikipedia de la Divine Comédie ou à ce blog particulièrement instructif qui permettra de mieux apprécier les tableaux imaginés par Wayne McGregor. Le programme est également une bonne référence pour comprendre les intentions et les influences de l’équipe artistique. La dramaturgie du ballet est plutôt limpide avec ces prérequis. Chaque acte correspond à une partie du poème, l’Enfer, le plus long, le Purgatoire et enfin le Paradis. Dante, incarné par Paul Marque (qui a assez peu à danser), est à la fois « spectateur » de ce qui se passe sur scène, en tant qu’auteur, et acteur puisqu’il nous raconte son voyage à travers les cercles de l’Enfer guidé par Virgile (Arthus Raveau) et ses rencontres avec les habitants remarquables de chacun des cercles puis son chemin vers la lumière et sa réunion avec Béatrice (Léonore Baulac), son aimée arrachée trop tôt à son affection. En dépit de ses longueurs, c’est l’Enfer qui m’a le plus captivée. C’est dans cet univers sombre, avec sa scénographie jouant sur les noirs et les blancs (comme un rappel des gravures de Gustave Doré) avec comme seules touches de couleur les tuniques respectivement bleue et jaune de Dante et Virgile, que Wayne McGregor trouve son meilleur terrain d’expression et il offre de beaux solos et duos aux danseurs du corps de ballet. Je retiendrai notamment le Charon, passeur des Enfers, de Takeru Coste, la découverte de Loup Marcault-Derouard, superbe Ulysse, la belle présence d’Isaac Lopes Gomes face à Paul Marque dans l’Adage du Pape. La rencontre de Virgile avec Satan, sous les traits de Roxane Stojanov toujours aussi charismatique, conclut cette partie.

Après ce premier acte très dense et très dur, qui sollicite beaucoup le spectateur, en dépit de 30 minutes d’entracte, on a du mal à se remettre dans l’ambiance apaisée et les doux éclairages du Purgatoire et du Paradis. Il y a de belles idées comme l’apparition de Dante et Béatrice aux différents âges (enfant, jeune et maintenant), le côté envoûtant des chants hébraïques et des notes orientalisantes de la musique et Léonore Baulac, vision de beauté botticellienne, mais je n’ai pas réussi à retrouver le fil. La gestuelle de Wayne McGregor dégage une sorte de brutalité sèche et de précision clinique, qui bien qu’adoucie ici, ne me semble pas totalement en phase avec ces passages. Reste une œuvre très riche, à réécouter et qui mérite sans doute d’être revue pour mieux l’apprécier.

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