Pour sa première saison de Directeur de la Danse, Benjamin Millepied avait réussi la jolie opération de recruter William Forsythe en tant que chorégraphe associé du Ballet de l’Opéra de Paris. Cette collaboration se matérialise par un programme rassemblant trois œuvres du chorégraphe, dont la création d’une nouvelle pièce Blake Works I, un événement chorégraphique de dimension «mondiale» qui passe presque inaperçu en cette fin de saison.
Cette création est accompagnée de deux autres pièces, Of Any If And, duo créé en 1995 qui fait son entrée au répertoire et Approximate Sonata, nouvelle version d’un ballet qui figure depuis 2006 au répertoire parisien.
Scénographie minimaliste et intrigante, musique de Thom Willems, exploration quasi scientifique des mouvements du danseur classique, Of Any If And et Approximate Sonata sont assez emblématiques du style Forsythe dans ce qu’il a de plus radical et il faut une grande force des interprètes pour ne pas laisser le spectateur sur le bord de la route.
Dans Of Any If And, un couple de danseurs, Eléonore Guérineau et Vincent Chaillet, partagent la scène avec deux récitants qui psalmodient un texte dont on ne saisit pas la signification en même temps que des lignes de panneaux noirs, certains vides, certains avec un mot ou des groupes de mots inscrits dessus, descendent des cintres. Cela fait un peu penser à ces expériences de psycholinguistique qui montrent la capacité du cerveau humain à compléter des propositions où manquent des mots fréquemment utilisés (comme of, any, if ou and). Un parallèle s’établit entre les éléments de base du langage, lettres et mots, et le vocabulaire chorégraphique de base assemblé en un tout signifiant et éminemment complexe. On se dit que cela doit être génial à danser pour les artistes mais c’est cryptique et assez ennuyeux pour le spectateur.
Avec Approximate Sonata, c’est un peu Balanchine revisité avec une pointe de hip-hop et même une légère pantomime. Cela commence abruptement : l’entracte ne semble pas fini, Eléonore Guérineau et Maxime Thomas s’avancent sur le devant de la scène, sur la fosse d’orchestre couverte, au plus près des spectateurs, pour se défier dans une sorte de duel chorégraphique. A ce couple athlétique, succèdent les longilignes Amandine Albisson et Audric Bezard, très glamours, les passionnés Eleonora Abbagnato et Alessio Carbone, et enfin Aurélia Bellet et Vincent Chaillet. Je suis restée pour ma part complètement détachée de cette pièce, superbe techniquement, sauf au moment du solo d’Alessio Carbone où le danseur parvient à faire éprouver au public la transe qui l’anime sur scène.
Avec Blake Works I, place à une célébration de fin de saison beaucoup plus accessible où solistes et membres du corps de ballet, en simples justaucorps et académiques bleu layette, se mêlent dans une joyeuse parade, rigoureusement construite cependant, au rythme des pistes électro-soul de James Blake. A la manière de Balanchine qui transpose l’univers du ballet classique académique dans le folklore de l’Ouest américain avec Western Symphony, William Forsythe crée un hommage à l’école de danse française qu’il revisite en y distillant des formations et des mouvements propres à la culture du clubbing. C’est aussi et surtout une superbe revue d’effectif de la troupe à la fin du court intermède Millepied. Ludmila Pagliero, seule étoile de la distribution, semble redevenue une toute jeune fille dans les bras de Germain Louvet. Léonore Baulac et François Alu ont « leur » pas de deux. Hugo Marchand fait plus que jamais chavirer les cœurs. Sur l’avant-dernière piste, les ensembles masculins réunissant notamment Hugo Marchand, Germain Louvet, Pablo Legasa et Paul Marque sont formidables et augurent du meilleur pour l’avenir. Aux saluts, la troupe semble être dans une douce euphorie. Blake Works I reviendra dans le programme d’ouverture de la prochaine, comme une version déstructurée du traditionnel défilé. William Forsythe a quant à lui décider de ne pas poursuivre l’aventure sans Benjamin Millepied et rejoindra le Boston Ballet.
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