Début d’été faste pour l’amateur de danse à Paris puisqu’en cette première semaine de juillet, il a le choix entre les Etés de la Danse avec une résidence de 3 semaines au Châtelet du New York City Ballet, une soirée William Forsythe à l’Opéra Garnier avec une création du maître et une soirée très New York City Ballet à l’Opéra Bastille réunissant une création de Justin Peck (danseur et chorégraphe résident de la troupe américaine) et un grand ballet de Balanchine, le Brahms – Schoenberg Quartet.
Après l’entrée au répertoire du dynamique In Creases au mois d’avril, Justin Peck est de retour avec une pièce un peu plus longue (25 minutes), Entre Chien et Loup, chorégraphiée sur une composition très divertissante de Francis Poulenc, le Concerto pour Deux Pianos et Orchestre en Ré Mineur, qui parvient à couvrir les vibrations technos de la Gay Pride qui a investi la Place de la Bastille.
Justin Peck s’est appuyé sur les danseurs utilisés pour In Creases, des danseurs par ailleurs très appréciés de Benjamin Millepied, et avec lesquels il a pu tisser une relation créative dans la durée.
Au niveau de la scénographie du ballet, on regrettera la simplicité pleine de modestie d’In Creases. Les décors du photographe et artiste conceptuel californien John Baldessari ou les costumes de la styliste Mary Katrantzou sentent plus le placement de produit opportuniste à destination des riches mécènes qu’une réelle collaboration artistique: si vous voulez porter la robe inspirée des tuniques portées par les danseuses, sachez qu’il vous faudra débourser 1200 €. Pour les tabourets blancs qui occupent la droite de la scène, on ignore si Ikea a apporté son mécénat.
Si l’on excepte ces petits tics bien dans l’air de la direction Millepied, cette chorégraphie est plutôt agréable à l’œil sans laisser une impression durable. Cela donne envie de la revoir, rien que pour vérifier si l’on n’a pas loupé quelque chose. Si Balanchine, dont Justin Peck ne cache pas l’influence sur son travail, est le chorégraphe qui sacralise la ballerine, le jeune homme est quant à lui un chorégraphe générationnel. En filigrane des évolutions du groupe de danseurs (5 filles, 6 garçons) masqués avec des loups de couleur (à la manière des points de couleurs qui cachent les visages de la photographie revue et corrigée de Baldessari qui sert de rideau de scène), faut-il voir la quête d’identité des 20 – 30 ans, le sentiment illusoire d’appartenance à une communauté que procurent les réseaux sociaux et le retour salutaire à la « vraie » vie symbolisée par les masques qui tombent? Je retiendrai surtout la vivacité de l’exécution, même si les transitions entre les mouvements du concerto manquent de tranchant, l’excellente idée d’associer Sae Eun Park et Arthus Raveau, deux danseurs incroyablement musicaux, ou encore Marc Moreau, toujours à l’aise dans ce registre et qui aurait toutes les qualités pour être un « principal » au New York City Ballet.
Après l’héritier, place au maître dans toute sa grandeur avec l’entrée au répertoire de l’Opéra du Brahms – Schoenberg Quartet un ballet en 4 mouvements d’inspiration romantique chorégraphié en 1966 sur le Quatuor pour piano et cordes nº 1 en sol mineur de Brahms, réorchestré par Arnold Schoenberg. Dans la lignée du Palais de Cristal ou de Thèmes et Variations présentés à l’Opéra ces dernières saisons, il s’agit d’un superbe dialogue entre l’orchestre et les danseurs où la technique classique est magnifiée par le génie du chorégraphe. Pour habiller ce ballet sur lequel flotte la nostalgie de l’empire austro-hongrois, l’Opéra a fait appel au plus « snob » des couturiers, Karl Lagerfeld qui décline avec bonheur sa palette très Chanel de gris clairs, de roses poudrés, de noirs et de blancs pour les costumes.
Plutôt étonnant donc de retrouver cette œuvre en fin de saison, dans une salle de Bastille qui peine à remplir à cette époque de l’année, d’autant plus que, pour cette première, il n’y avait pas moins de huit étoiles sur scène, un vrai festin de roi.
A chaque mouvement, correspond une personnalité féminine, une image de la ballerine.
Dans le premier mouvement (Allegro), Dorothée Gilbert flirte avec Mathieu Ganio dans le parc du Prater. Autour d’eux, une soliste qui essaie de voler la vedette à l’étoile, Sabrina Mallem, et 4 danseurs / 8 danseuses (toujours cette prééminence de la femme chez Balanchine) en guise de corps de ballet écrin, ressuscitant la gloire d’une époque révolue. Après avoir passé l’après-midi avec le New York City Ballet, je remarque des différences notables dans l’interprétation du style balanchinien : on ne sent pas la même liberté d’exécution chez les danseurs parisiens, ce naturel, certes émaillé de quelques petites erreurs techniques, qui m’a marquée chez les Américains. Tout est plus corseté et parfaitement en place à l’Opéra, quitte à manquer de vie et d’esprit. Dorothée Gilbert est brillante, mais Mathieu Ganio ne parvient pas vraiment à exprimer la vénération que tout bon partenaire est censé éprouver pour sa ballerine chez Balanchine.
Dans le deuxième mouvement (Intermezzo), on se retrouve dans l’intimité d’un boudoir ou d’un salon : 2 étoiles et 3 danseuses sur scène seulement, de lourds rideaux en soie occultent la lumière. Amandine Albisson, très sensuelle en rose poudré, et Stéphane Bullion transcendent l’abstraction et nous racontent une histoire : pour moi, il y a un petit côté Scarlett et Rhett Butler (je sais, on est loin de Vienne) dans ces instants qu’ils partagent. Etonnant de voir comment ce partenariat, pas forcément emballant à la base car basé sur des considérations physiques, évolue bien au fil des ballets et semble faire grandir artistiquement Amandine Albisson.
Dans le troisième mouvement (Andante), la ballerine à l’âme pure est Myriam Ould-Braham, associée à son chevalier-servant attitré Mathias Heymann. Il y a comme un petit air d’acte blanc dans ce passage où Mathias Heymann est le seul homme, prince à la recherche de l’amour idéal, dans un corps de ballet exclusivement féminin. Dommage qu’ils n’aient pas trouvé la même alchimie que sur Giselle le mois dernier, le partenariat m’a semblé un peu fébrile et Mathias Heymann a connu quelques difficultés de réception très inhabituelles sur son solo. Cela pourrait donner de grands moments dans les représentations à venir.
Inspiration tzigane enfin dans le quatrième mouvement emmené par une extraordinaire Laura Hecquet, qui a connu une saison en pointillés après des débuts d’étoile tonitruants. On retrouve la danseuse qui avait épaté tout le monde dans Paquita. Ces rôles de caractère pétillants lui vont à ravir, comme à Karl Paquette. Ces deux danseurs ont l’art et la manière d’insuffler la vie sur un plateau.
La soirée Balanchine de l’automne prochain à Garnier, qui reprendra le ballet, s’annonce pétillante. En attendant, on ne saurait que conseiller de profiter des salles vidées par l’Euro et des billets bradés pour profiter de cette soirée qui aurait pu proposer une pièce supplémentaire.
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