Depuis quelques saisons, le programme d’ouverture de saison rime souvent avec créations contemporaines et mise à l’honneur du corps de ballet. Il faut donc attendre l’automne et la deuxième série de représentations pour retrouver les étoiles. Et quoi de mieux qu’un programme mixte pour faire briller sur scène un maximum de solistes. Certaines années, le choix se porte sur Balanchine et ses Joyaux, d’autres années, on préférera au pape de la danse néo-classique américaine son disciple le plus célèbre, Jerome Robbins, et l’une des pièces phares de son œuvre, In the Night.

In the Night

In the Night, pièce centrale de la soirée, s’empare de quatre Nocturnes de Chopin, parmi les plus belles pages du piano romantique, pour offrir une sublime variation chorégraphique sur les différents âges de l’amour. Sur fond de ciel étoilé à l’occasion d’un bal de la haute société, trois couples s’isolent tour à tour pour un pas de deux miroir de leur état amoureux, avant d’être réunis pour un final où leurs fidélités/loyautés sont mises à l’épreuve. Comme souvent dans le répertoire néo-classique américain, l’émotion pour le spectateur va venir de la capacité des danseurs à raconter une histoire dans un cadre formel abstrait. Ce n’est pas forcément la qualité première des danseurs parisiens, si on les compare aux principals des compagnies américaines. Sae Eun Park et Paul Marque dansent avec brio le premier couple, celui de l’amour naissant, mais, pour moi, leur danse très belle ne véhicule pas de récit. J’ai sans doute plus d’affinités avec le duo en brun, celui de la passion arrivée à maturité. Ludmila Pagliero a décidément un don pour rendre sa danse vivante et palpitante et son association avec Mathieu Ganio redonne des ailes à un danseur étoile qui peut sembler parfois un peu à distance dans ses interprétations.

Sae Eun Park et Paul Marque dans In The Night

Dans le dernier couple, celui de l’amour orageux, Amandine Albisson fait preuve d’un bel engagement, forte du bagage accumulé au fil de ses rôles de grandes amoureuses (Carmen(s) version Petit ou Ek, Esmeralda). Cela devrait fonctionner avec Audric Bezard, un de ses partenaires de prédilection, mais je ne suis pas entrée dans leur duo « Je t’aime moi non plus », déséquilibré par la grande taille d’Audric Bezard qui rompt l’harmonie de certains passages.

En Sol

In the Night était enchâssé entre deux pièces plus légères. Avec En Sol, Jerome Robbins nous invite aux bains de mer pour évoquer les amours estivales aux accents parfois jazzy du Concerto en sol majeur de Maurice Ravel. En Sol, c’est le croisement entre le Robbins chorégraphe de comédies musicales et le Robbins romantique de In the Night. Les danseurs jouent avec humour ces scénettes de bord de mer, mettant aux prises jeunes filles en fleur et garçons de plage, aux silhouettes joliment soulignées par les costumes d’Erté. Au centre de la pièce, il y a la rencontre d’un Adonis, Hugo Marchand, et d’une belle ingénue, Hannah O’Neill, tout de blanc vêtus dans un pas de deux, prélude du premier duo de In the Night. On connaît la complicité des deux danseurs et l’on est donc un peu déçu par une association qui manque de chaire. Hugo Marchand  n’est sans doute plus le danseur idéal pour ce rôle : sa présence physique écrase sa partenaire et semble plus le destiner aux deux derniers pas de deux de In the Night.

The Concert

Le ballet qui clôturait la soirée, the Concert est un petit bijou d’humour dans lequel Jerome Robbins croque les travers des spectateurs de récital musicaux, s’aventure du côté du vaudeville ou imagine des ballets complètement givrés. C’est la première incursion du chorégraphe dans l’univers de Frédéric Chopin dont il utilise une compilation de pièces. Tout commence avec l’entrée d’une pianiste(Vessela Pelovska pour de vrai) qui s’installe cérémonieusement au piano installé sur scène. Non sans avoir sacrifié à un certains nombres de tics au préalable. Le public arrive petit à petit, en solo ou en duo, apportant leurs propres chaises et sacrifiant eux aussi à leurs petites manies, dans lesquelles se reconnaîtront les spectateurs. On repère notamment la ballerine, fan absolue de la concertiste:  Léonore Baulac est formidable d’abattage et de charme dans ce rôle, c’est vraiment un registre où elle excelle. Elle se retrouve courtisée par Arthus Raveau, méconnaissable car complètement grimé, et lui aussi hilarant en mari brimé par sa femme (Héloïse Bourdon) et qui rêve de s’en débarrasser. Un ballet qui fait rire, ce n’est pas si fréquent et cela fait tellement de bien en ces temps moroses.

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