Anne Teresa De Keersmaeker, ATDK pour les intimes et familiers du Théâtre de la Ville, est décidément très (trop ?) présente dans les programmations de l’Opéra de Paris ces dernières saisons, même si les relations entre la compagnie classique et la chorégraphe belge sont parfois compliquées, comme en témoignent  la transmission de Rain en 2011 ou encore le travail avorté la saison dernière sur la chorégraphie de l’opéra Così fan tutte (où la chorégraphe-metteur en scène avait décidé à mi-parcours des répétitions de se passer des danseurs parisiens pour les remplacer par ceux de sa propre compagnie Rosas).

Pour inaugurer le dernier trimestre de la saison, on retrouve la chorégraphe pour la reprise d’un programme mixte, déjà donné tel quel à l’automne 2015, réunissant trois pièces Quatuor no 4 de Bartók, Die Große Fuge de Beethoven et La Nuit Transfigurée de Schönberg dans une soirée sous le signe des cordes et de l’exigence musicale, qui trace un parcours cohérent dans l’œuvre d’ATDK.

Quatuor N°4

On commence par Quatuor no 4, une œuvre de jeunesse, un peu ardue au sortir d’une journée de travail, où 4 danseuses costumées en pensionnaires des années 50 (jupe , haut et godillots noirs) affirment leur personnalité et leur féminité en défiant les 4 musiciens sur scène. A chaque mouvement du quatuor de Bartók correspond un axe force dans la chorégraphie: déplacements frontaux puis utilisation latérale de l’espace, cercles ou encore des figures vives et précises pour accompagner les pizzicati. Sous ses dehors abscons, c’est une pièce où les interprètes (Aurélia Bellet, Claire Gandolfi, Camille de Bellefon, Miho Fujii) doivent allier présence scénique et endurance physique pour maintenir l’intensité pendant les 30 minutes sans interruption sur scène. Ce quatuor, que j’avais trouvé fascinant par instants lorsque je l’ai découvert, m’a semblé bien ennuyant ce 3 mai : petite pensée pour les touristes qui avaient réservé leur soirée à Garnier en pensant découvrir des danseuses en tutu et en pointes et qui ont droit à des jeunes femmes se livrant à une parodie de jeux de cour de récréation.

Die Grosse Fuge

Passage à l’âge adulte avec Die Große Fuge, qui utilise le même dispositif scénique, où 8 jeunes cadres dynamiques (1 femme et 7 hommes en costume de ville) se défoulent en une série quasi ininterrompue de roulés-boulés spectaculaires. La pièce donne l’impression d’une grande bouffée d’air frais, très plaisante, voire un peu régressive. Alice Renavand y est rayonnante (elle a décidément un tempérament « comique » que ce soit en contemporain ou en classique), et dans l’ensemble masculin, ce sont les personnalités de Takeru Coste et surtout du jeune Andrea Sarri qui ressortent le plus.

Verklärte Nacht

Avec La Nuit Transfigurée qui conclut le programme, on s’aventure dans une veine plus romanesque de l’œuvre d’ATDK. Si l’on peut considérer que Quatuor no 4 et Die Große Fuge sont une succession de sketchs, La Nuit Transfigurée est un poème chorégraphié : d’ailleurs la composition d’Arnold Schönberg s’inspire d’un poème de Richard Dehmel, l’histoire d’une femme qui avoue à l’homme dont elle vient de tomber amoureuse qu’elle est enceinte d’un autre. En partant de la situation initiale, la forêt au crépuscule, avec la brume qui s’élève du sol jonché de feuilles en décomposition, et un couple (Alice Renavand, Jack Gasztwott), ATDK la démultiplie en la faisant interpréter par d’autres couples, utilisant en tout 8 danseuses et 6 danseurs, dans une succession de fondus enchaînés, donnant à ressentir autant de formes d’amour possibles. Dans une de ces incarnations, Léonore Baulac est l’image même de la beauté préraphaélite. On regrette l’absence de Karl Paquette qui la complétait si bien dans un duo au romantisme exacerbé: il est remplacé par Nicolas Paul, plus strict et austère. Il me semble, par rapport à ma première vision de l’œuvre en 2015, que les danseurs ont d’ailleurs une certaine marge d’improvisation : ainsi je ne me rappelais pas des envolées de toute beauté, dignes d’un Solor, et très « classiques », exécutées dans le final par Jack Gasztwott.

En dépit de quelques beaux moments et de la force indéniable des pièces d’ATDK, cette soirée fait figure de redite, et me semble légèrement inférieure dans l’exécution à ce qu’on avait pu voir à l’entrée au répertoire en 2015 (comme la reprise du Daphnis et Chloé de Millepied d’ailleurs). On comprend l’intérêt de reprendre à intervalle régulier des œuvres faisant partie du répertoire naturel de l’Opéra, moins celui de faire un copier-coller paresseux d’une soirée contemporaine qui n’avait pas suscité un enthousiasme débordant, sauf à considérer que, maintenant, ATDK, c’est plus le répertoire naturel de l’Opéra que Roland Petit.

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