Distribution surprise pour un deuxième dimanche d’affilée avec Roméo et Juliette. Myriam Ould-Braham, blessée, était remplacée par Léonore Baulac pour la prise de rôle de Mathias Heymann en Roméo.
Si passionné est l’adjectif qui vient à l’esprit pour évoquer Dorothée Gilbert et Hugo Marchand, tendre et délicat conviendraient le mieux pour Léonore Baulac et Mathias Heymann. Deux propositions différentes de par la personnalité des interprètes et leur historique de partenariat mais qui font vibrer toutes les deux le spectateur.
C’était une première pour Léonore Baulac et Mathias Heymann. La rencontre du premier acte, c’est aussi les premiers pas du couple sur scène, et je pense que l’authenticité de leur interprétation tient aussi au fait qu’ils n’ont pas eu beaucoup de temps de répétition ensemble. Qui a dit que Mathias Heymann était un partenaire fébrile? C’est peut-être l’effet Baulac : je trouve que généralement la danseuse a la faculté innée de danser avec son partenaire, d’interagir avec lui et de le mettre en valeur, une qualité qu’on chercherait plutôt d’habitude chez le partenaire masculin. Le morceau de bravoure qu’est le pas de deux du balcon est un instant de romantisme absolu, les larmes viennent devant tant de beauté.
A l’état civil, Mathias Heymann va sur ses 30 ans et est un des danseurs les plus expérimentés de la compagnie, mais, sur scène, il apporte énormément de fraîcheur à son Roméo (celui d’Hugo Marchand semble avoir beaucoup plus vécu). Il est un tout jeune homme qui apprend la vie. Ceux qui imaginent Roméo comme une sorte de James Dean dans la Fureur de Vivre seront déçus. Le Roméo de Mathias Heymann n’est certainement pas un bad boy, mais un idéaliste qui doit trouver sa place dans cet univers violent : il est particulièrement touchant. Quelle est sa voie: celle de Mercutio qui choisit de rire et de profiter de la vie? celle de la droiture et de la raison de Benvolio? celle de chef de clan de Tybalt? Ce sera une autre voie, celle proposée par Juliette. Chacun des solos où il exprime ses sentiments est un petit bijou de musicalité, les pas s’enchaînent avec fluidité, les pirouettes semblent ne pas finir : Mathias Heymann a fait Noureev en première langue, c’est sûr. Par ailleurs, j’ai rarement vu un tel engagement dramatique chez Mathias Heymann (si ce n’est dans le rôle de Lensky). Il est déchirant lorsque Benvolio lui annonce la mort de Juliette et ne craint pas d’en faire trop lorsqu’il se retrouve devant le lit mortuaire de sa bien-aimée.
Forte de ses représentations en début de série avec Germain Louvet, Léonore Baulac a mûri son personnage de Juliette. Physiquement déjà, elle est telle que l’on imagine Juliette. C’est une personnalité lumineuse, très forte: elle fait sortir de sa bulle son Roméo, lui fait prendre ses premières décisions d’adulte et grandit avec lui mais elle conserve tout du long une part d’enfance en elle. Le dosage est parfait lors de la première nuit d’amour du jeune couple, un moment d’une grande douceur après la violence de la mort de Tybalt et avant la succession de tempêtes mentales et de péripéties qui amènent au final où les larmes coulent pour de bon
La réussite de la matinée tient aussi à l’homogénéité de la distribution. La distribution masculine pourrait faire pâlir d’envie le Bolchoï. C’est une chance de pouvoir admirer sur la même scène Mathias Heymann ET François Alu! Je trouve pour ma part que l’art de François Alu est d’autant plus plaisant à voir quand il n’écrase pas le plateau de sa supériorité technique. Fabien Révillion, le troisième membre du trio d’amis, est remarquable, au niveau de ses deux comparses techniquement. Florian Magnenet campe un Tybalt grand seigneur : la relation frère – sœur avec sa cousine Juliette est très bien rendue et il apporte une dimension humaine à son personnage par rapport au sicaire plus caricatural et unidimensionnel campé par Audric Bezard. Pablo Legasa réussit à faire exister le personnage de Pâris et à lui donner un peu plus d’épaisseur que celle d’un simple obstacle entre Roméo et Juliette.
A noter le luxueux corps de ballet puisqu’il comptait dans ses rangs Jeremy-Loup Quer, Germain Louvet et surtout Héloïse Bourdon. Quelle autre compagnie au monde peut se permettre de mettre dans le corps de ballet une danseuse invitée quelques jours plus tôt à danser Odette/Odile dans le Lac des Cygnes sur la scène du Mariinsky ?
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