Nouveautés de cette saison, les soirées mixtes se voient affublées d’un titre et non plus de l’énumération des chorégraphes qui les composent. Racines appartient à la veine néo-classique du genre avec l’incontournable pièce de Balanchine, associé ici à des chorégraphes suiveurs du maître russo-américain, le Britannique Christopher Wheeldon et le Sud-Africain Mthuthuzeli November.
C’est le type de soirée dont on sait qu’elle sera agréable à l’œil et aux oreilles (Tchaïkovski, Gershwin, Bernstein), mais aussi que ce ne sera certainement pas le spectacle de l’année.
Thème et Variations

Thème et Variations a été créé en 1947 pour l’American Ballet puis revue pour le New York City Ballet en 1960. La pièce est entrée au répertoire parisien en 1993, et la dernière reprise remonte à 2016. Sur la partition du dernier mouvement de la 3ème suite pour orchestre de Tchaïkovski, son compositeur préféré, Balanchine offre un manifeste du classicisme dans toute sa gloire, un hommage à la Russie impériale et à Marius Petipa. Thème et Variations est une œuvre empreinte de la nostalgie du chorégraphe pour sa culture russe mais aussi de l’énergie de l’exilé à la conquête du nouveau monde. Le ballet s’ouvre sur une sorte d’abécédaire de la danse classique avec des pas très simples qui va ensuite se développer en harmonie avec la musique en un grand pas de deux pour clôturer sur une polonaise typiquement russe, le tout pimenté d’une approche jazzy.
Même si Balanchine est très souvent dansé par la troupe parisienne, nos danseurs ont parfois du mal à s’affranchir de la seule recherche de la perfection technique et à donner de la vie et de la respiration à leur danse. J’ai trouvé que la soliste principale, Bleuenn Battistoni, parvenait justement à trouver ce savant équilibre. Peut-être moins Thomas Docquir qui propose une danse très propre, maîtrisée, met bien en valeur sa partenaire, mais reste un tantinet scolaire. Dans le corps de ballet, on remarque Enzo Saugar que je n’avais jamais vu dans du classique pur : très en vue à l’arrivée de José Martinez, le jeune homme s’était fait plus discret la saison dernière, mais il a vraiment une aura spéciale, comme la dernière partie de la soirée le confirmera.
Rhapsodies

Rhapsodies de Mthuthuzeli November est la bonne surprise de cette soirée, et la partie la plus distrayante du programme, sans doute à cause de la célèbre Rhapsody in Blue de Gershwin qui porte la danse. Le lien est d’ailleurs tout trouvé avec Balanchine qui avait lui aussi exploré l’univers de Gershwin avec le réjouissant Who Cares ?. Mthuthuzeli November est un jeune artiste sud-africain qui travaille dans un registre néo-classique en s’appuyant sur la technique des pointes, tout en puisant dans sa formation à l’école de la danse de rue dans un township.

Créée en 2024 pour le Ballet de Zurich, cette entrée au répertoire propose une chorégraphie très musicale qui met en valeur les qualités et la technique des danseurs de l’Opéra, dans une classique exploration de la carte du tendre moderne. La distribution fait la part belle à toute la diversité de la troupe, à des « vétérans » (Axel Ibot, Fabien Révillion, Yvon Demol ou encore Daniel Stokes), à des artistes plutôt étiquetées contemporaines (Charlotte Ranson, Juliette Hilaire ou Sofia Rosolini), à d’autres plus classiques (Celia Drouy) et à des jeunes talents (Nathan Bisson, Corentin de Naeyer). Cela m’a fait beaucoup penser au travail de Johan Inger ou encore à Pontus Lidberg, à la fois de part la fluidité du mouvement mais aussi par la normalité du cadre : voici une danse qui dégage de l’optimisme, sans scénographie bizarre, sans ambiance apocalyptique avec des danseurs parfaitement identifiables et qui peuvent exprimer leur personnalité.
Corybantic Games

Le lien avec Balanchine se poursuit pour la dernière partie de la soirée avec Christopher Wheeldon et ses Corybantic Games. Christopher Wheeldon a fait sa carrière de danseur au New York City Ballet où il a également démarré sa fructueuse carrière de chorégraphe et l’influence de Balanchine, et notamment de ses ballets « black and white » les plus minimalistes, est prégnante dans son style. Utilisant le plus souvent la fine fleure de la musique contemporaine pour ses pièces, il développe des chorégraphies abstraites très esthétisantes (on pourrait presque prendre une photo à chaque pas), sur pointes, avec notamment des pas de deux sophistiqués et un travail très précis dans l’espace, magnifié par le soin apporté à l’éclairage.



Curieusement, pour un chorégraphe de cette envergure, Corybantic Games est seulement la deuxième œuvre à rentrer au répertoire, après l’intéressant Polyphonia sélectionné par Benjamin Millepied. Corybantic Games est une commande du Royal Ballet pour célébrer le centenaire de Leonard Bernstein en 2018. Le ballet se déploie sur les 5 mouvements de la Sérénade, d’après Le Banquet de Platon du compositeur et chef d’orchestre américain. J’avoue ne pas avoir trouvé cette musique très facile à l’écoute, et cela m’a sans doute empêchée d’adhérer complètement à la danse.
Le titre du ballet fait référence aux Korybantes, des danseurs guerriers, adorateurs de la déesse Cybèle, évoqués à plusieurs reprises dans l’œuvre de Platon. Et on a en effet l’impression de voir s’animer une version modernisée des peintures qui ornent les céramiques antiques dans les évolutions et joutes entre danses et parades guerrières des danseurs tout de blanc (surligné de bandes noires). On retiendra surtout le duo troublant formé par Lorenzo Lelli et Enzo Saugar, l’apparition trop courte de Francesco Mura aux côtés de Nine Seropian ou l’abattage de Valentine Colasante toujours à l’aise dans ce registre très athlétique. Christopher Wheeldon a indéniablement du métier, mais il se laisse aller à trop étaler sa maîtrise technique : j’ai trouvé l’ensemble quelque peu prétentieux et d’une froideur marmoréenne.
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