Depuis 2015, Eleonora Abbagnato dirige le Ballet de l’Opéra de Rome, une compagnie un peu en déshérence, qui se cherchait une ligne artistique et surtout des moyens financiers. Si ses premières saisons ressemblaient à un best-of des répertoires de l’Opéra de Paris et de la Scala, la danseuse étoile, accompagnée dans cette aventure par son partenaire privilégié à la scène Benjamin Pech, commence à construire un nouveau répertoire classique ambitieux pour ses danseurs. Ainsi, Jirí Bubenícek a chorégraphié un Carmen pour la troupe, tandis que de nouvelles versions de grands classiques étaient remontées : Don Quichotte par Laurent Hilaire, Le Lac des Cygnes par Benjamin Pech ou le Corsaire par José Martinez. On ne peut qu’être admiratif devant le travail accompli, avec vraisemblablement peu de moyens, et, qui plus est, en parallèle de sa fin de carrière à l’Opéra de Paris.

Dans un contexte de pandémie, on espère que ce beau projet ne se verra pas couper les ailes. En tout cas, c’est avec un grand intérêt que je me suis connectée sur You Tube le 9 janvier pour découvrir une pièce de 25 minutes Baroque Suite chorégraphiée par Eleonora Abbagnato et Benjamin Pech sur des compositions de musique baroque italienne de Vivaldi (Les Quatre Saisons, Stabat Mater) et de Marcello. Les deux partenaires ont vu cette pièce comme un moyen de faire revivre la troupe en ces temps troublés. Ils sont repartis d’une chorégraphie autour du Stabat Mater qu’ils dansaient lors de leurs tournées d’été au Japon ou encore à Palerme et ont adapté le tout aux contraintes sanitaires (distanciation, masques …).

Cela pourrait laisser penser que l’on a à faire à une entreprise un peu amateur, un spectacle monté à la va vite. C’est loin d’être le cas : il s’agit d’une vraie création.

La Nuvola

Pour l’occasion, la représentation était délocalisée dans le tout récent Centre de Convention de Rome, la Nuvola, fleuron de l’architecture moderne conçu par Massimiliano Fuksas. La chorégraphie s’appuie d’ailleurs sur l’espace scénique situé dans le forum du bâtiment, au milieu d’une cage de verre et d’acier surplombée par le Nuage (structure accueillant entre autres un auditorium). Au dehors, la nuit et les lumières d’un quartier d’affaire désert, au-dessus, des projections de nuées sur la surface du Nuage qui se déploie tel un velum au-dessus des danseurs. Anna Biagiotti, pour la grande maison de couture romaine Laura Biagiotti, a conçu les costumes, en harmonie avec la Nuvola. Les pyjamas bleus des hommes évoquent des tenues de soignants, dans leurs robes drapées dans des nuances rose poudré, les femmes ressemblent à des vestales de la Rome antique. On est quelque part entre le présent et l’au-delà.

Chorégraphiquement, il n’y a rien de révolutionnaire, mais Eleonora Abbagnato et Benjamin Pech connaissent leurs classiques et les assemblent habilement: on sent l’influence de Jerome Robbins version In The Night, d’Angelin Preljocaj ou de la Pina Bausch d’Orphée et Eurydice. A aucun moment, on a l’impression d’être devant une chorégraphie néo-classique formatée. Il y a une grande sensibilité qui irrigue l’ensemble et réussit à passe la barrière du petit écran d’ordinateur. L’ensemble peut se voir comme une ode au dévouement du personnel soignant, même s’il n’a pas forcément été conçu dans ce sens. Le tableau final est particulièrement poignant.

La captation est disponible ici.

L’Opéra de Rome est plutôt généreux et semble laisser en ligne ces spectacles. La saison digitale se poursuivra le 16 janvier avec Vivaldi Suite chorégraphié par Michele Merola.

A l’occasion de la représentation, Eleonora Abbagnato s’est également confiée au Messaggero (https://www.ilmessaggero.it/spettacoli/teatro/covid_19_eleonora_abbagnato_porta_i_ballerini_del_costanzi_alla_nuvola_futuro_da_coreografa_no_sono_ancora_in_ballo-5685122.html) sur ses adieux toujours en suspens à Paris, qui devraient avoir lieu en mars, le calendrier de sa troupe avec de grands classiques pour reprendre (car il n’y a rien de tel pour remettre les danseurs en forme) et une pièce qu’elle va confier à Simon Valastro sur le thème de la Boîte de Pandore. Décidément, celles que d’aucuns à Paris considéraient comme une danseuse « starlette » s’avère être une femme de tête.

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