La Seine Musicale accueille la tournée française du Lac des Cygnes de Matthew Bourne pour les 30 ans de ce hit incontournable du West End et de Broadway. Le grand public français a découvert ce spectacle à travers un autre succès du box-office, au cinéma cette fois, Billy Elliot, sorti en 2000. Dans l’épilogue, le héros a réalisé son rêve de devenir danseur professionnel et fait partie du corps de ballet de la troupe de Matthew Bourne: on le voit s’élancer depuis la coulisse pour danser le mythique acte blanc. Cette introduction pourrait induire en erreur : ce Lac des Cygnes n’appartient pas totalement au genre du ballet mais plutôt à celui du théâtre musical. Il y a certes de la danse, mais cette danse s’apparente aux parties dansées d’une comédie musicale, adaptées à des danseurs de bon niveau, pas forcément de formation classique. Cet avertissement posé, cela n’empêchera pas d’apprécier une production soignée et à l’efficacité toute anglo-saxonne.

Photo: Johan Persson

Matthew Bourne, lorsqu’il évoque la genèse de l’oeuvre, se décrit comme un balletomane compulsif qui n’hésitait pas à voir plusieurs distributions du même ballet et cet amour pour le ballet en général et le Lac des Cygnes en particulier se ressent dans sa production. Le découpage musical du Lac est ainsi respecté à la lettre et la transposition du livret originel dans une cour royale européenne de notre temps est plutôt bien sentie.

Siegfried est une sorte de Prince Charles, qui se cherche dans son rôle de futur roi, sous la coupe d’une mère peu affectueuse et probablement nymphomane, qui est la vraie star de la famille, et d’un Secrétaire Privé castrateur. Histoire de s’émanciper, le Prince jette son dévolu sur une blonde et plantureuse petite amie qui ne semble pas particulièrement futée (coucou Sarah Ferguson !). Après une pénible confrontation avec sa mère, le Prince sort dans une boîte à la mode, le Swank Bar, peuplé d’une faune interlope. Il tombe sur sa petite amie, visiblement occupée avec un autre, et se retrouve pris dans une altercation, avant d’être jeté à la rue. Quelle n’est pas sa surprise quand il voit l’homme de confiance de sa mère payer sa petite amie. Ainsi, même celle, dont il croyait qu’elle l’aimait sincèrement, est intéressée : il est incapable de susciter l’affection. Désespéré, il se réfugie à Hyde Park (superbe décor). Prêt à se suicider dans le lac Serpentine, il est sauvé par la vision d’un banc de cygnes mâles, il se sent irrésistiblement attiré par leur chef.

Après l’entracte, on retrouve la cour à une grande soirée de prestige. Cette soirée est perturbée par un séduisant étranger tout de cuir noir vêtu, qui s’avère être le fils du Secrétaire Privé. Il séduit toutes les femmes de la société et également le Prince, qui voit en lui le sosie du Cygne blanc dont il est tombé amoureux. Il est troublé et l’étranger se joue de ce trouble. Le Prince sort de ses gonds, lorsque l’étranger se met à flirter outrageusement avec sa mère. Le Prince sort un pistolet et menace sa mère. Dans la confusion qui s’ensuit, l’étranger s’empare de l’arme et tire sur le Prince, mais c’est la petite amie qui s’interpose (finalement, elle avait bon cœur !) et qui est tuée. On est décidément en plein mélo Harlequin. Interné en hôpital psychiatrique, il est en proie à des songes tantôt sereins tantôt tourmentés, peuplés de cygnes blancs. Cette scène finale est particulièrement émouvante avec cette lutte symbolique entre le chef des cygnes blancs protecteur et aimant et la troupe des cygnes menaçante, se concluant par l’agonie du Prince.

Dans la lignée de la version psychanalytique du Lac chorégraphiée par Rudolf Noureev, Matthew Bourne fait de son héros un homosexuel refoulé : les cygnes devenus des hommes laissent peu de place à l’ambiguité. On peut penser aussi à Illusions – Like Swan Lake de John Neumeier, une transposition dans le monde de Louis II de Bavière. L’influence de Sir Kenneth MacMillan, le grand chorégraphe du Royal Ballet, se fait sentir dans la relation tourmentée entre le Prince et sa mère, la folie du Prince, les intrigues de cour ou encore le détour dans la boîte de nuit, autant de références à un des ballets monstre du maître britannique, Mayerling. Enfin, le chorégraphe inclut un ballet dans le spectacle, avec un pastiche d’un ballet romantique à la Sylphide.

L’amateur de ballet est donc en terre connue et s’amusera à faire des allers-retours entre son bagage de spectateur et la relecture de Matthew Bourne. Néanmoins, cela reste un spectacle qui pourra plaire au plus grand nombre grâce à une narration très lisible et cinématographique, de très beaux décors et costumes, même si l’on espère que personne ne sortira de la salle en se disant qu’il a vu le vrai Lac des Cygnes.

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