Dans le cadre de la saison Transcendance, le Théâtre des Champs Elysées fait régulièrement honneur à son prestigieux passé chorégraphique en proposant des œuvres qui jettent des ponts entre le contemporain et le classique, une programmation souvent évènementielle (les adieux de Sylvie Guillem, la collaboration Blanca Li – Maria Alexandrova ou la deuxième carrière de Nicolas Le Riche et Clairemarie Osta) et qui fait de l’ombre au versant contemporain de la saison de l’Opéra. La trilogie From Black to Blue consacrée au chorégraphe suédois Mats Ek ne déroge pas à cette règle. En effet, les 5 dates proposées étaient annoncées ni plus ni moins comme les dernières occasions de voir des œuvres de Mats Ek sur scène ainsi que les adieux d’Ana Laguna, sa muse et sa compagne : à 70 ans, il a décidé de prendre sa retraite et de retirer les droits de ses œuvres aux troupes qui les interprètent, des œuvres qui étaient principalement transmises par Ana Laguna et lui-même.
J’avoue, après cette séance et un Juliette et Roméo l’an dernier, que la danse selon Mats Ek n’est pas forcément celle qui me fait vibrer mais il faut reconnaître l’intelligence et la subtilité avec lesquelles, à la manière d’un Fellini, il exploite la banalité quotidienne et les gestes les plus triviaux pour faire naître la poésie, l’étonnement ou le sourire chez le spectateur, en utilisant une grammaire chorégraphique extrêmement exigeante pour ses danseurs de technique classique. Je ne suis pas ressortie enthousiaste de la salle, mais j’ai été intriguée et surprise tout du long.
Sur des musiques de Mongolie et le 2ème Quatuor à Cordes de Górecki traversé d’influences catholiques et de mélodies traditionnelles polonaises, She was black (1994) est un petit ballet de 45 minutes qui évoque pour moi l’esprit de festivités villageoises estivales au cours desquelles les jeunes gens laissent libre cours à leurs attirances et à leurs pulsions. Les éléments de la scénographie (table d’office, escalier) suggèrent l’office d’une grande maison, et les évolutions des protagonistes rappellent Mlle Julie, ballet de Birgit Cullberg, la mère du chorégraphe, adaptation de la pièce éponyme de Strindberg, et la dérive quasi orgiaque des célébrations du solstice d’été. Mats Ek s’affranchit des exigences de la narration, et dans sa carte du tendre, il n’y a pas de perfection esthétique, on n’est ni poli, ni beau, on ne cherche pas la pose qui fera joli sur la photographie mais tout reste d’une musicalité surprenante. Les danseurs du Semperoper Ballet de Dresde sont remarquables dans cette œuvre chorale.
Solo for 2 (1996), pas de deux sur l’usure du couple immortalisé par Sylvie Guillem, est ici confié à Dorothée Delabie (Ballet de l’Opéra de Lyon) accompagné d’Oskar Salomonsson (Ballet de l’Opéra Royal de Stockholm).Sur la musique d’Arvo Pärt, on peut souvent s’attendre à des pas de deux néo-classiques interchangeables : ici, là encore, l’humour et l’inventivité sont au rendez-vous pour cet instantané dans l’intimité d’un couple où l’homme, grand adulescent, sorte de Pierre Richard dégingandé, essaie de retrouver, dans sa femme si raisonnable, celle dont il est tombé amoureux.
Fondu au noir, le rideau de fond de scène se lève pour dévoiler tout le plateau du Théâtre des Champs Elysées, un billot, un tas de bois : Yvan Auzely (Opéra de Lyon) arrive avec une hache et commence à débiter des bûches. Hache est la dernière création du maître, un pas de deux du 3ème âge, entre tendresse et hymne aux forces primitives, porté par l’Adagio d’Albinoni Ana Laguna, incroyable de poésie, qui essaie de distraire son homme de cette occupation violente. Qui aurait pu penser que couper du bois pouvait devenir une chorégraphie ?
Mots Clés : Ana Laguna,Hache,Mats Ek,She was black,Solo for 2,Théâtre des Champs Elysées