Ce mercredi 5 juillet, j’ai pris place au balcon de Garnier, un luxe que je compte sur les doigts d’une main dans ma vie de spectatrice, pour la première représentation de Ludmila Pagliero et de Marc Moreau dans l’Histoire de Manon.

J’avais découvert la Manon si vivante et passionnée de Ludmila Pagliero en 2015 lors de sa prise de rôle aux côtés de Josua Hoffalt (mon Des Grieux préféré à l’Opéra), sa seule et unique apparition sur la scène de l’Opéra dans ce rôle, puisque, suite à une blessure sérieuse, elle s’était retirée des représentations suivantes. Pour Marc Moreau, c’était évidemment une prise de rôle et l’on pouvait se demander si le tout frais danseur étoile était fait pour ce type de ballet dramatique, lui qui brille plutôt dans Balanchine, Robbins et leurs suiveurs contemporains. Obstacle supplémentaire pour le duo, ils ne devaient pas danser ensemble initialement, mais, leurs partenaires respectifs (Laura Hecquet et Germain Louvet) étant forfait, ils ont eu à improviser un partenariat sur une chorégraphie casse-tête de ce point de vue en seulement une semaine.

En dépit de ces vents contraires, ou peut-être grâce à eux, les deux étoiles ont livré une représentation enthousiasmante, en tout cas de mon point de vue. Si, en début de série, j’avais apprécié l’harmonie du couple formé par Myriam Ould-Braham et Mathieu Ganio, la grâce toujours touchante de MOB et les lignes de prince de Mathieu Ganio, j’étais resté un peu sur ma faim sur le fond. Manon, c’est un ballet où l’on doit vibrer, frémir, rire par instant, sursauter et même pleurer, et, le 24 juin, je n’étais pas vraiment sous le choc lorsque le rideau s’ouvre à nouveau sur Manon et Des Grieux après le tableau final. L’impression était donc totalement différente ce 5 juillet.

Ludmila Pagliero est une danseuse très expressive, avec un fort caractère qui peut éventuellement éclipser des partenaires trop lisses, mais elle a également la faculté d’embarquer l’ensemble du plateau avec son énergie galvanisante. C’est très agréable dans ce type d’œuvre où l’interprétation est cruciale : le jeu de Ludmila Pagliero est extrêmement lisible et pas besoin de jumelles pour saisir les nuances ou imaginer une intention de jeu dans une œillade ou un regard. Le début du premier acte est dominé par sa relation très forte avec son frère interprété par Francesco Mura, charismatique Lescaut, viveur et odieux, qui ne semble s’adoucir que pour sa sœur qu’il n’a pas trop de mal à entraîner dans ses desseins. On a presque l’impression qu’ils n’en sont pas à leur coup d’essai, ils envisagent juste les choses à plus grande échelle. Ludmila Pagliero donne d’ailleurs le LA dès son entrée, elle sollicite visiblement les attentions de la gente masculine présente dans la cour d’auberge et se délecte de son succès.

Sylvia Saint-Martin et Francesco Mura

Marc Moreau est quant à lui plutôt discret dans cette première partie et sa distinction tranche avec l’atmosphère tapageuse de la scène. Le feu n’en couve pas moins sous la glace et son solo suivi du premier pas de deux donnent le frisson. Plus charnel, plus passionné que MOB-Ganio, sans doute sous l’impulsion de Ludmila Pagliero, le couple nous embarque dans une passion qui s’annonce riche en péripéties. Refrisson sur le tubesque pas de deux de la chambre du premier acte.

Mais la Manon de Ludmila Pagliero ne saurait se contenter d’amour et d’eau fraîche comme le dévoile très vite la visite de Monsieur de G.M. (Grégory Dominiak) et de Lescaut. Elle ne se fait pas prier pour jouer les coquettes et n’est jamais la marionnette de son frère, mais sa complice plus que consentante. Tout au plus, jette-t-elle un regard de regret à la couche qui l’a vue se donner à Des Grieux avant de quitter le logis de ce dernier.

Au fil des représentations vues de Manon, j’aurais tendance à me lasser des ensembles outranciers de l’acte 2 avec les catins et les gentilshommes. On y remarque cependant Thomas Docquir, Daniel Stokes, Hohyun Kang (dans le rôle de la prostituée travestie), Pauline Verdusen ou encore Charline Giezendanner. Dommage que cette dernière ne se soit pas vue confier le rôle de la maîtresse de Lescaut. Sylvia Saint-Martin, solide techniquement, m’a paru un peu en retrait dans ce rôle, trop distinguée, face à l’ouragan Francesco Mura, génial dans le pas de deux ivre avec une belle prise de risque.

Marc Moreau m’a bluffée dans ce deuxième acte. Tout faisait sens dans sa danse, avec la recherche du détail dans les épaulements, la direction du regard. Le basculement du « je ne veux pas de l’argent vilement acquis » à « je suis prêt à tricher et à voler pour te conserver » est très crédible. Le solo où il exprime tout son amour à Manon est dansé avec une rare sensibilité et intelligence. La relation avec sa partenaire s’équilibre et même s’inverse dans le deuxième pas de deux de la chambre. Peut-être que le fait d’avoir moins répété ensemble, donne aussi un caractère plus spontané à ces pas de deux (le côté lisse et parfait que l’on peut reprocher à MOB et Mathieu Ganio) et une grande intensité qui culmine dans l’ultime pas de deux, sans doute un des plus marquants que j’ai vu. Les 2 danseurs ont d’ailleurs du mal à sourire et à sortir de leurs rôles lors des saluts, visiblement sonnés et émus. Cette représentation suscite deux réflexions : on est rarement déçu quand Ludmila Pagliero est sur la feuille de distribution et il est bien dommage que Marc Moreau ait attendu si longtemps pour pouvoir exprimer tout son talent.

Mots Clés : ,,,,
Share This