Avant de se tourner vers la nouvelle saison, retour sur le final de la précédente et le Don Quichotte du Ballet de l’Opéra de Vienne. Le samedi 27 juillet, il faisait bien chaud à Paris et je n’en ai que plus apprécié cette très bonne après-midi de danse classique dans l’atmosphère agréablement climatisée du Théâtre du Châtelet.
C’est mon sixième Don Quichotte en un an et pourtant je ne m’en lasse pas et je sors à chaque fois avec des étoiles dans les yeux et en fredonnant la musique du Grand Pas de Deux.
La production de l’Opéra de Vienne est la grande sœur de celle de l’Opéra de Paris : c’est également la version Noureev de ce ballet et elle a le mérite d’avoir conservé les décors et costumes de Nicholas Georgiadis dans leur version originelle. Les décors sont plus authentiques, plus élégants : c’est un peu le contraste entre une boutique d’antiquités et un magasin vendant des copies luxueuses. Finies les confusions perturbantes pour le néophyte entre Kitri et la danseuse de rue au premier acte, entre Dulcinée, la reine des Dryades et Cupidon au deuxième acte. La salle du Châtelet et ses dimensions raisonnables créent un écrin bien plus chaleureux pour le ballet que l’immensité un peu froide de Bastille.
Pour cette matinée, avant-dernière représentation des Viennois lors de leur tournée parisienne, Kitri et Basilio étaient incarnés par un couple de solistes à la scène et à la ville, 100 % japonais, Kiyoka Hashimoto et Masayu Kimoko.
Sur un plan purement technique, Kiyoka Hashimoto a fait preuve de beaucoup d’autorité, notamment dans sa variation de Dulcinée, et a été au niveau de ce que Paris nous avait proposé de mieux cet hiver, sans doute Ludmila Pagliero. Sur le plan de l’interprétation, sa Kitri n’est peut être pas assez chipie, mais l’alchimie avec Basilio est parfaite. C’est vraiment un très beau partenariat. On apprécie la délicatesse des portées dans le pas de deux du moulin, les équilibres parfaitement amenés dans le pas de deux du mariage, les superbes pirouettes.On a l’impression qu’elle et Masayu Kimoko pourraient danser ensemble les yeux fermés.
Masayu Kimoko a une très belle ligne, un joli travail de pieds et est assez impressionant sur ses pirouettes. Il a passé toutes ses variations avec élégance et sans faire preuve de virtuosité excessive, ce qui lui a permis de maintenir un niveau homogène de performance tout au long de ce ballet si exigeant.
Un Don Quichotte réussi, cela va au-delà d’un couple vedette qui fonctionne, c’est aussi l’énergie de la troupe et des seconds rôles investis. C’était un peu le point faible de la série parisienne de l’hiver, et c’est là que la troupe viennoise a proposé quelque chose d’emballant. Que ce soient les jeunes gens de Barcelone, les toréadors, les gitans ou les dryades, les alignements et la synchronisation des ensembles ne m’ont jamais paru en défaut : un beau travail qui permet d’alléger les passages qui peuvent parfois sembler longs entre deux morceaux de bravoure. Petit coup de cœur pour Espada interprété par Roman Lazik : en dépit de quelques petites difficultés avec sa cape, voici un toréador extrêmement séduisant qui pourrait tout à fait subtiliser Kitri à Basilio. Les deux amies de Kitri (Iona Avraam et Eszter Ledan) et la demoiselle d’honneur (Nina Tonoli) nous offrent de charmants intermèdes, là encore parfaitement synchronisés. Au Royaume des Dryades, on note l’ampleur de la danse de Prisca Zeisel qui délivre une prestation lumineuse et le Cupidon aérien de Maria Alati.
Finalement, la première impression du Ballet de l’Opéra de Vienne donnée par le Gala d’ouverture d’un assemblage hétéroclite d’individualités est démentie par ce Don Quichotte, démonstration d’une troupe soudée et enthousiaste. On se dit également que ce n’est pas si mal que Manuel Legris façonne encore un peu plus longtemps cette troupe, histoire de se construire une stature de directeur de la danse incontournable pour l’Opéra de Paris: ce qu’on a vu donne l’impression qu’il sait détecter et valoriser les talents, et que surtout il arrive à les retenir.