Pour démarrer la première saison que l’on espère normale depuis 2 ans, Aurélie Dupont a choisi de reprendre Play d’Alexander Ekman, création qui avait marqué la première saison qu’elle avait conçue en tant que Directrice de la Danse. Ce ballet présenté en décembre 2017 s’avère rétrospectivement un des plus beaux succès d’Aurélie Dupont, de la danse contemporaine qui va à la rencontre d’un public de 7 à 77 ans, et c’est sans doute un bon choix de miser sur cette pièce ludique pour renouer le lien interrompu entre la troupe et le public. En tout cas, le remplissage de l’Opéra Garnier semble donner raison à cette stratégie.
Pièce tout public, Play suscite sans doute moins le désir des amateurs de danse, et, comme pour tout objet de consommation courante, on n’a pas forcément envie de faire un re-Play. Je reprends ci-dessous mes impressions à l’entrée au répertoire. Entre temps, Vincent Chaillet et Muriel Zusperreguy ont pris leur retraite, François Alu a pris du recul en s’installant dans le fauteuil de juré de Danse Avec Les Stars et Stéphane Bullion, unique étoile de la création, prépare le Rouge et le Noir, création classique événement de Pierre Lacotte. On retrouvera Simon Le Borgne qui était le personnage principal du ballet et dont la carrière contemporaine à l’Opéra a explosé depuis, et la reprise aura sans doute permis de régler certains problèmes de jeunesse de l’œuvre.
Pourquoi ne pas retomber en enfance le temps d’une soirée? La très attendue création d’Alexander Ekman pour le Ballet de l’Opéra de Paris, Play, est un peu une réponse « hype » au traditionnel Casse-Noisette, qui explore lui aussi les jeux de l’enfance et l’angoisse du passage à l’âge adulte. L’intérieur de la haute bourgeoisie a fait place à un bric à brac scénographique, qui reprend les codes couleurs du Noël scandinave version Ikea, et au lieu de flocons de neige c’est une pluie de balles vertes qui tombe des cintres pour remplir la fosse d’orchestre.
Play ne manque pourtant pas d’ambition, et, au fil de ses deux actes de cinquante minutes, essaie d’inventer un ballet contemporain tout public, accessible aux petits comme aux adultes, en brassant les influences de chorégraphies plus pointues, un soupçon de Jirí Kylián, du William Forsythe de Impressing the Czar ou encore de Mats Ek. On a l’impression que le trop plein d’idées du chorégraphe a parfois du mal à se concrétiser sur scène, et qu’en voulant insérer à tout prix la séquence qui en met plein les yeux, il dilue inutilement son propos.
Après un générique façon cinéma, projeté sur le rideau de scène, accompagné par une formation de saxophones en shorts, polos et baskets immaculés, le premier acte pourrait se résumer à une joyeuse cour de récréation, avec une maîtresse d’école complètement dépassée, mettant en scène les danseurs revenus en enfance dans des tableaux collectifs ou dans quelques scénettes plus individualisées, sans oublier des incursions dans l’imaginaire des enfants (le cosmonaute, les femmes aux casques surmontées de bois, la princesse monstrueuse incarnée par Aurélien Houette). Pris individuellement, ces passages vont intriguer ou faire sourire, avec une mention particulière pour le tableau de la femme sur un cube, visuellement très réussi, avec Marion Barbeau, Simon Le Borgne et Andrea Sarri. Ces deux derniers qui font partie des jeunes de la troupe paraissent plus à l’aise dans cet univers régressif que Stéphane Bullion, Vincent Chaillet, Muriel Zusperreguy ou même François Alu qui sont honteusement sous-exploités. Le tout se termine avec la pluie de balles vertes qui remplissent la fosse d’orchestre, où Simon Le Borgne, le personnage point de vue, reste étendu sur le dos comme hébété.
A l’entracte, les techniciens finissent de nettoyer la scène des petites balles pour remplir complètement la fosse (clin d’œil au Sacre de Pina Bausch). La deuxième partie s’ouvre sur une chorégraphie pour les danseurs masculins dans le silence, intitulée « des hommes au travail », avec une vidéo du visage de Simon Le Borgne projetée sur le rideau (visiblement en plein marasme face aux contraintes de l’âge adulte), puis on enchaîne sur un tableau figurant l’absurdité des chaînes de production tayloriennes (un peu daté comme message en 2017) où s’invitent une ballerine et un danseur classiques (Silvia Saint- Martin et Vincent Chaillet), puis encore un autre tableau assez spectaculaire avec des cubes qui évoque vaguement Glass Pieces de Jerome Robbins et aussi une scène avec des bougies (mais je ne me rappelle plus dans quel ordre). J’avoue que je commence à regarder ma montre, heureusement la musique de Mikael Karlsson est plutôt agréable à écouter, avec une superbe chanteuse de gospel, Callie Day. Et puis, au milieu de tout cela, il y a un joli pas de deux où Muriel Zusperreguy et Stéphane Bullion ont enfin quelque chose à danser, le quotidien qui effrite l’amour (quel scoop !). Finalement, ce que l’on retiendra le plus sûrement de la soirée, c’est le rappel après les saluts avec la performance de Callie Day sur le devant de la scène, les évolutions en liberté des danseurs et les ballons géants qui permettent aux spectateurs d’interagir avec la scène.
Le tout donne l’impression qu’Alexander Ekman a bien conçu toutes les pièces de son puzzle mais a peut-être manqué de temps pour les assembler en un tout cohérent et pour effectuer quelques coupes nécessaires. Il est frappant de constater qu’avec des moyens matériels infiniment moindres et sur des thématiques similaires, Samuel Murez et la troupe du 3ème étage proposent des pièces plus percutantes et qui laissent plus de place à l’expression des individualités, mais c’est le propre d’un travail sur la durée et de la connaissance intime des danseurs.
Mots Clés : Alexander Ekman,Play,Saison 2021-2022