Sae Eun Park m’avait éblouie en 2019 aux côtés de Mathieu Ganio dans le Lac des Cygnes. J’espérais retrouver la même magie avec son association avec Paul Marque. Les deux danseurs sont actuellement au sommet de leur art et il est difficile de rêver plus belle distribution à Paris. La preuve, c’est cette distribution qui sera immortalisée par Pathé Live pour une diffusion en novembre en salle IMAX : en cette soirée du 28 juin, d’énormes caméras étaient ainsi positionnées en divers points de la salle.
Si la qualité de la danse était superlative, à un niveau d’excellence rarement vu à l’Opéra sur les chorégraphies de Rudolf Noureev au cours de ces dernières années, l’émotion n’a pas été totalement au rendez-vous pour moi. Comme en 2022, avec une autre distribution, j’ai trouvé le premier acte assez faible dramatiquement, alors que, dans des souvenirs plus lointains, je me remémore combien il pouvait être fascinant d’observer le prince somnolent sur son trône et les évolutions arachnéennes du précepteur Wolfgang autour de son élève. Cet acte est centré sur la relation entre Siegfried et son maître, une relation qui donne lieu à des choix d’interprétation : un prince sous emprise d’un mentor possessif ou encore secrètement attiré par la noire aura de son conseiller. C’est la première option que semble avoir retenue Paul Marque face à Pablo Legasa dont la présence n’est pas assez prégnante sur le plateau. Mes voisines ont d’ailleurs cru qu’Andrea Sarri qui évoluait dans le Pas de Trois était le précepteur: c’est dire. Il semble loin le temps de Karl Paquette et Stéphane Bullion! Si l’on ressent le sentiment d’enfermement qui habite le Siegfried de Paul Marque, le Wolfgang de Pablo Legasa manque quelque peu de perversité: l’effet miroir entre Wolfgang qui maintient son élève dans un état de dépendance et Rothbart qui a emprisonné Odette dans un corps de cygne avec son sortilège ne fonctionne pas totalement.
Il faut attendre le Pas de Trois pour réveiller le plateau : Andrea Sarri y est parfait, bien accompagné par Roxane Stojanov et Héloïse Bourdon pour des caméos de luxe. J’ai rarement vu ce pas de trois aussi bien mené. La Danse des Coupes est réussie avec un corps de ballet masculin au top. Globalement, les ensembles sont moins chaotiques que sur d’autres saisons au premier acte, mais la scène de Bastille pourtant immense paraît par moment bien étriquée pour cette chorégraphie trop alambiquée à mon goût.
Comme le spectateur n’a pas pu entrer totalement dans la psyché de Siegfried au premier acte, la rencontre avec Odette n’a pas la même puissance qu’elle devrait et le deuxième acte ne démarre donc pas sur les meilleures bases. Sur l’adage, les deux étoiles rencontrent un petit accroc sans doute lié au tutu de Sae Eun Park, ils disparaissent dans la coulisse côté cour pendant une dizaine de secondes et reprennent le pas de deux comme si de rien n’était. Ce pépin a le mérite de les sortir de leur zone de confort, et un soupçon d’émotion pointe à l’horizon. Le magnifique travail de bras de Sae Eun Park est à souligner, même si la danseuse choisit de rester une princesse et une femme avant de n’être qu’un cygne.
Le troisième acte balaie la plupart des réserves évoquées plus haut. D’une part, toutes les danses nationales sont dansées avec enthousiasme par des solistes chevronnés. Mention spéciale à Marine Ganio et Nikolaus Tudorin qui emmenaient la Danse Napolitaine: c’était un petit bijou de précision. D’autre part, dans le pas de trois réunissant Odile, Siegfried et Rothbart, les danseurs nous offrent une danse de gala. Pablo Legasa s’avère plus convaincant en Rothbart qu’en Wolfgang, avec une variation spectaculaire et dansée tout en accélération avec la vivacité qui le caractérise. Paul Marque survole ses variations: il s’élève à une hauteur assez ahurissante. J’aime beaucoup le cygne noir de Sae Eun Park: loin de composer une méchante caricaturale, elle campe une version plus désirable d’Odette, la princesse-cygne timide s’est muée en une femme apte à naviguer dans les intrigues de la cour, une sorte d’incarnation féminine de Wolfgang.
Le quatrième acte reste très beau, illuminé par les ensembles de cygnes blancs pour ce qui fait partie des plus beaux tableaux du répertoire parisien, et j’ai trouvé le duo Sae Eun Park et Paul Marque émouvants, à défaut d’être totalement bouleversants, dans leur ultime pas de deux.
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