Pour la deuxième année consécutive, le Ballet de l’Opéra National de Kiev pose ses valises pour les fêtes de fin d’année au Théâtre des Champs Elysées. Après Casse-Noisette, place à un autre tube du ballet classique, Le Lac des Cygnes, toujours adapté par Valery Kotvun, une des gloires de la danse ukrainienne, dans une version très proche de la version princeps de Marius Petipa et Lev Ivanov. Le petit plus, cette année, est la présence d’un orchestre dans la fosse, la toute jeune formation Orchestre Hexagone , dirigée par Viktor Oliynyk, l’un des chefs d’orchestre permanents de l’opéra ukrainien.

Ne serait-ce le rendu parfois un peu trop neuf des costumes et le physique bien de notre époque des danseurs, ce Lac des Cygnes nous fait faire un petit voyage dans le temps et on s’imaginerait presque dans les années 50 lorsque la troupe du Marquis de Cuevas faisait découvrir au public du Théâtre des Champs Elysées les classiques du ballet impérial russe. Ce Lac ukrainien ne s’embarrasse pas de relectures psychanalytiques : il nous raconte tout simplement une légende nordique. J’ai trouvé l’argument très lisible, même si, contrairement à d’autres versions « authentiques », la pantomime apparaît quelque peu allégée. L’intrigue se resserre autour des principaux protagonistes, le Prince Siegfried, Odette/Odile et le sorcier Rothbart: exit, le personnage du confident du prince Siegfried ou encore le bouffon.

Le Prince Siegfried de cette version n’a rien d’un héros romantique torturé, c’est l’archétype du prince charmant, voire charmeur. Son regard papillonne d’une jeune fille à l’autre, lors de la fête d’anniversaire du premier acte. Denys Nedak a la tâche ingrate de donner de l’épaisseur à ce personnage, qui n’a par ailleurs pas grand-chose à danser. Cette première partie est dominée par le pas de trois où l’on remarque notamment le longiligne Sergii Kryvokon et la soliste Yuliia Moskalenko (qu’on avait vu en Clara l’an dernier). Les ensembles ont, par contre, un petit côté mécanique qui m’a empêchée de rentrer pleinement dans le ballet : peut-être est-ce la proximité de la scène où l’on voyait la concentration des danseurs appliqués à bien faire ou encore la disparition récente de la directrice artistique de la compagnie, Aniko Rekhviashvili, mais cela manquait de vie.

Après tout, même à l’Opéra de Paris, ce premier tableau peut paraître un tantinet long. C’est le deuxième tableau avec l’apparition de la reine des Cygnes qui fait basculer le spectateur du monde réel à celui du rêve. Ce deuxième tableau s’ouvre par une entrée spectaculaire du sorcier Rothbart interprété avec une intensité toute slave par Iaroslav Tkachuk. Maquillage outrancier, costume d’oiseau, mystère : pas de doute, on est enfin au théâtre. La rapidité du danseur dans ses évolutions et notamment des rotations sur les pirouettes est proprement stupéfiante.

On ne peut rêver plus belle introduction à l’entrée d’Anastasiia Shevchenko, prima ballerina de la troupe au long cou de cygne. Denys Nedak, soliste expérimenté avec de faux airs de Roberto Bolle, s’avère un partenaire idéal, et je le trouve plutôt convaincant dans l’évolution de son personnage (du prince inconséquent du début à l’homme rencontrant pour la première fois l’amour pur). On sent que ce ballet coule dans les veines des deux solistes et qu’ils sont en quelque sorte transportés dans ce monde imaginaire : c’est techniquement irréprochable, d’une grande fluidité avec des petits détails dans la gestuelle et les postures qui transmettent les sentiments. Pour que ce soit parfait, j’aurais attendu plus de poésie de la part du corps de ballet des cygnes, aux alignements certes impeccables mais par trop militaires.

Le deuxième acte avec le pas de deux du Cygne Noir était palpitant. Les divertissements étaient particulièrement enlevés, et notamment la danse napolitaine brillamment menée par Stanislav Olshanskyi. Anastasiia Shevchenko s’est métamorphosée en créature maléfique, instrument de Rothbart dans la cruelle duperie dont Siegfried va être le jouet. L’engagement technique et théâtral des 3 solistes est remarquable. Le dernier acte m’a semblé plus fade, si on le compare à celui de la version Noureev avec sa beauté surréelle : il est plus là pour apporter une résolution à l’intrigue, avec pour cette version, une fin heureuse avec Rothbart défait par le véritable amour de Siegfried pour Odette. On notera la petite curiosité de la présence de cygnes noirs dans le corps de ballet, comme dans la reconstruction du Lac d’Alexei Ratmansky.


Stanislav Olshanskyi

Le succès public semble être au rendez-vous et le niveau de cette compagnie est sans commune mesure avec le Saint-Pétersbourg Ballet Théâtre, auquel le Théâtre des Champs Elysées a souvent fait appel pour sa programmation classique. On espère donc que l’on retrouvera les danseurs de Kiev l’an prochain, avec un autre ballet de leur répertoire. Ce Lac des Cygnes nous a en tout cas presque consolés de l’annulation de la série de Raymonda à l’Opéra de Paris.

Mots Clés : ,,
Share This