Après une première visite au printemps 2019, le Boston Ballet revient en France au Théâtre des Champs Elysées pour un programme qui reflète bien l’ADN résolument néo-classique de la troupe et qui réunit deux chorégraphes prestigieux déjà présents il y a 5 ans: William Forsythe qui crée régulièrement pour la compagnie et un autre géant de l’art chorégraphique contemporain, Jirí Kylián. Le programme est complété par une pièce de Jorma Elo, chorégraphe résident du Boston Ballet, finlandais comme le directeur artistique de la troupe Mikko Nissinen.
C’est cette chorégraphie, Bach Cello Suites, qui introduit la soirée. Jorma Elo a retenu trois des suites pour violoncelle seul de Bach. On apprécie le luxe de pouvoir bénéficier d’une musique live avec la présence du violoncelliste Sergey Antonov, lauréat du concours international Tchaïkovski en 2007, installé côté cour pour accompagner les cinq couples de solistes. La musique transcende ce que la chorégraphie peut avoir de convenu : on pense aux créations sur pointes de Benjamin Millepied ou au travail de Christopher Wheeldon. C’est ce qui plaît aux mécènes américains et c’est très bien fait. On notera le soin apporté au travail du haut du corps et aux ports de bras qui trahissent la formation à l’école russe de Jorma Elo, ce qui n’est pas si fréquent dans ce registre. Comme toujours avec les troupes américaines, il est plaisant de voir des danseurs aux morphotypes très variés qui réussissent malgré tout à conserver une unité de style.
C’est encore plus frappant dans la pièce qui est le clou de la soirée, le troisième opus du Blake Works de William Forsythe que l’on découvrait pour la première fois en France. Avec ce Blake Works III créé en 2022 pour le Boston Ballet, William Forsythe poursuivait sa série de chorégraphies inspirées par la musique électronique du Britannique James Blake : cette série toujours en cours a été initiée avec l’Opéra de Paris, s’est poursuivie pendant le confinement avec The Barre Project et a été complétée depuis par une quatrième puis une cinquième itération avec respectivement le Dance Theatre of Harlem et la Scala de Milan. Cette pièce pour moi est un mystère : comment réussir une chorégraphie aussi géniale en s’appuyant sur un matériel musical assez médiocre ? Le ballet se structure autour d’un premier pas de deux réunissant Abigail Merlis et le sculptural et très impressionnant Tyson Ali Clark, puis d’une partie centrale où les solistes se succèdent pour des exercices virtuoses à la barre et un intermède pendant lequel des extraits de The Barre Project, avec le jeu des mains sur la barre filmé en gros plan, sont projetés sur le rideau de scène, avant un final qui va crescendo, miroir des exercices au centre du cours de danse. En 2019, on sentait les solistes du Boston Ballet un peu empruntés sur la Playlist très pop que leur avait concoctée Forsythe : le travail avec le maître sur le long terme a porté ses fruits et la chorégraphie semble cousue main sur eux. On retiendra en particulier Ji Young Chae et Jeffrey Cirio dans ce ballet électrisant. Blake Works III est même à mon sens plus satisfaisant que le numéro 1.
La troisième œuvre de la soirée souffre de passer après l’exercice magistral de William Forsythe. L’équilibre du programme aurait été meilleur en concluant Blake Works III. Et pourtant Bella Figura est l’une des pièces phares de Jirí Kylián. créée pour le Nederlands Dans Theater en 1995. A travers la beauté des musiques, sélection de compositions italiennes du XVIIème et XVIIIème siècle (Pergolese et Vivaldi entre autres) complétée par un pastiche du compositeur néo-classique Lukas Foss, un sens aigu du cadre et du découpage et la rigueur de sa construction chorégraphique, Jirí Kylián convoque l’esprit de l’Europe baroque pour une réflexion sur l’être et le paraître et l’illusion théâtrale. Il manque peut-être aux danseurs, incarnations du melting pot américain et de son énergie, la compréhension intime de l’arrière-plan culturel du ballet, ce qui limite celui-ci à sa beauté purement formelle. En tout cas, je n’ai pas retrouvé les émotions ressenties à sa découverte, dansée par l’Opéra de Paris.
Mots Clés : Boston Ballet,Jiri Kylian,Jorma Elo,William Forsythe