Après la Cendrillon de Thierry Malandain ce printemps, c’est au tour d’une autre relecture néo-classique d’un grand ballet du répertoire d’investir la scène du Théâtre National de Chaillot du 5 au 13 juin 2014. Jean-Christophe Maillot et les Ballets de Monte Carlo présentent leur version du Lac des Cygnes, une version dont la dramaturgie signée Jean Rouaud et la scénographie ne sont pas sans évoquer l’univers d’un Tim Burton.
Comme pour les œuvres du réalisateur susnommé, on peut donc saluer la créativité, l’inventivité de la forme, la richesse de l’imaginaire, tout en regrettant que parfois cet imaginaire excessif, presque exubérant, ne supplante l’émotion.
Jean-Luc Maillot et Jean Rouaud (prix Goncourt en 1990) ont conservé les marqueurs essentiels de l’intrigue initiale : un prince qu’une mère possessive veut marier, la recherche de l’amour pur incarné par le cygne blanc / Odette, qui s’oppose au désir incarné par le cygne noire / Odile. Comme Noureev, ils ont creusé une vision psychanalytique de l’œuvre, mais leur prince n’est plus l’archétype du héros romantique du XIXème siècle : il s’apparente à un adolescent attardé bien de notre époque marqué par un trauma enfantin et une famille dysfonctionnelle, qui s’interroge sur le véritable amour, le désir, sa relation à ses parents et sa place dans le monde.
Une petite vidéo expressionniste avant le lever de rideau évoque ce trauma enfantin : on voit le roi et la reine, le petit garçon élevé avec une petite fille blonde orpheline (ou fille issue d’un premier mariage de la mère ?). Survient une créature maléfique, sa Majesté de la Nuit (qui remplace le sorcier Rothbart), qui présente au roi une petite fille toute de noire vêtue: on comprend qu’il s’agit de l’enfant née de leur liaison. Rejetée par le roi avec son enfant, la Majesté de la Nuit kidnappe la petite fille blonde pour en faire la compagne de jeux (?) ou le souffre-douleur de sa fille.
Le spectacle est découpé en trois actes.
Si les danseuses sont sur pointe et que le langage chorégraphique s’appuie sur des éléments classiques, il s’agit d’un néo-classicisme assez éloigné de celui de Thierry Malandain ou de Benjamin Millepied. On a finalement très peu d’enchaînement fluides, il y a souvent des ruptures dans le mouvement, la danse est physique, puissante voire acrobatique, avec très peu de tableaux posés et avec une place prépondérante laissée à une forme moderne de pantomime.
Le 1er acte nous fait faire connaissance avec la famille royale, le roi, la reine et leur fils. Ce dernier paraît avoir des difficultés à sortir des jupes de sa mère, son seul dérivatif est son confident. Un bal est donné à la cour pour lui présenter des fiancées potentielles. Les festivités sont interrompues par la Majesté de la Nuit accompagnée de deux séides: le roi paraît encore fasciné par cette créature. Elle introduit sa fille auprès du prince. L’attirance du prince pour le « cygne noir » (sa demi-sœur) est comme le miroir de la relation entre le roi et la Majesté de la Nuit et une forme de défi à sa mère.
Dans ce 1er acte, la pantomime vient souligner parfois lourdement la chorégraphie. Il y a un côté bling bling à cette cour : aurait-on remplacé la cour renaissance de l’original par la cour monégasque ? Ce premier acte est dominé par la présence de Jeroen Verbruggen dans le rôle du malicieux et bondissant Confident du Prince, ainsi que par la Majesté de la Nuit terrifiante de Maude Sabourin.
Dans le 2ème acte, nous quittons la cour pour le repère de la Majesté de la Nuit, un paysage surplombé de rochers, où elle retient captive Odette, ainsi que d’étranges compagnes ayant l’apparence de cygnes blancs. Le prince reconnaît dans la jeune femme son amie d’enfance.
C’est le passage le plus réussi. Il y a une très belle caractérisation de la relation entre le prince et Odette. Le prince (Lucien Postlewaite) a enfin un petit peu plus de matériel à danser, et Anjara Ballesteros en cygne blanc nous rend parfaitement la fragilité d’Odette (on ose à peine imaginer le calvaire qu’elle a vécu) ainsi que sa pureté. Il y a une tension dramatique qui s’installe sur la scène, et on ne peut pas être insensible à la beauté des ensembles de femmes – cygnes blancs avec les danseuses longilignes du corps de ballet.
Le 3ème acte débute avec une fête en blanc organisée à la cour pour fêter le mariage d’Odette et du prince. Au moment de consommer le mariage, c’est Odile qui est substituée à Odette. Après la découverte du subterfuge, les courtisans tuent Odile. Le prince espère retrouver Odette dans la clairière, mais celle-ci est déjà morte de chagrin. Le prince, Odette, la Majesté de la Nuit et ses séides sont ensevelis sous un voile noir opaque qui tombe des cintres sur la scène.
La scène paraît presque trop petite pour accueillir des ensembles très énergiques qui nous permettent d’admirer la qualité de la compagnie, même si l’émotion n’a pas été au rendez-vous sur le final pour ma part, la faute sans doute au personnage du prince qui ne prend jamais de dimension tragique, et qui reste un pantin aux mains de la Majesté de la Nuit.
Ce Lac reste néanmoins un spectacle qui sort de l’ordinaire, ambitieux artistiquement tout en étant accessible et populaire, respectueux du patrimoine culturel dans lequel il puise son inspiration, et qui peut se découvrir sans forcément connaître les versions plus classiques.
On comprend mieux en le voyant pourquoi le Bolchoï a fait appel à Jean-Christophe Maillot pour monter une version chorégraphiée de la pièce de Shakespeare, la Mégère Apprivoisée. Le style du chorégraphe devrait permettre à la compagnie russe de s’exprimer pleinement.
Mots Clés : Ballets de Monte-Carlo,Jean-Christophe Maillot,LAC