A l’occasion de son 40ème anniversaire à la tête du Ballet de Hambourg, John Neumeier écrivait en juin dernier une tribune dans « die Welt am Sonntag » (un équivalent allemand du Journal du Dimanche, en plus intellectuel). Le créateur de « la Dame aux Camélias« , qui fait l’ouverture de la saison à Paris, y revenait sur les triomphes, les crises et un taux de remplissage « fabuleux » de 97%. Au-delà du discours d’auto-satisfaction et des remerciements de circonstance à la ville de Hambourg et à l’Allemagne, sa patrie d’adoption, c’est un témoignage intéressant sur la façon dont il a su construire une œuvre majeure de chorégraphe en parallèle de ses activités de directeur artistique et de gestionnaire. A méditer pour le futur Directeur de la Danse de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied ?

Un coup d’œil en arrière pour aller de l’avant.

Lorsque je suis entré il y a 40 ans dans la Salle de Ballet de l’Opéra de Hambourg pour parler à la troupe, j’avais une idée très précise pour une Compagnie de Ballet d’un nouveau type.

D’abord, il y a eu une grosse contrariété : après plusieurs rencontres de préparation, des réflexions approfondies et de nombreux entretiens individuels, je devais me séparer de 16 membres de la compagnie. J’avais la conviction qu’un travail artistique commun ne serait pas fructueux. On en est arrivé ainsi à un processus où je devais rassembler des éléments factuels.

Après cet épisode pénible, la presse s’est emparée du sujet, et j’ai été fortement contesté. Sur le chemin du retour vers Francfort (ndt : à l’époque, John Neumeier dirige le Ballet de Francfort depuis 1969), je pensais ne jamais revenir dans le Nord. Je suis pourtant bien revenu et je suis resté. Aujourd’hui, je peux me retourner sur quatre décennies et j’ai moi-même du mal à y croire.

Oui, 40 ans, cela figure maintenant sur les contrats, sur le papier à entête du Ballet, c’est inscrit dans le logo de notre jubilé. Mais vraiment, je ne pouvais pas présager de ce chiffre. Lorsque je me rends le matin au travail, c’est toujours comme si c’était le premier jour.

Je veux entraîner les gens. Je crois que nous les artistes vivons le plus intensément quand nous travaillons. L’artiste qu’est le danseur est néanmoins un cas particulier du fait qu’il ne peut exercer sa profession qu’un temps très court, et donc il doit utiliser chaque minute et chaque force disponibles de façon optimale. C’est une conviction que je leur faisais partager lors des premiers rassemblements du Ballet. J’y crois toujours.

J’ai eu la chance de chorégraphier à Hambourg et dans presque toutes les grandes compagnies du monde. Cependant le Ballet de Hambourg est resté ma base. Je le reconnais volontiers dans ce moment particulier où nous faisons le bilan de quarante années.

La ville de Hambourg et ses habitants m’ont beaucoup donné. En plus d’une compagnie de 58 danseurs, un Centre du Ballet lumineux, une école de danse qui fournit 80% de l’effectif du ballet et un siège pour ma compagnie de jeunes, la Compagnie Nationale de la Jeunesse financée par l’Etat. Nous avons ici une scène solide avec un taux de remplissage de 97%, un public fidèle et intéressé. Mais tout cela ne m’a pas été simplement offert, cela a aussi été le fruit de beaucoup de travail. Plusieurs fois j’aurais voulu prendre du recul pour laisser derrière moi les difficultés liées au métier de directeur de ballet, les négociations, les casse-têtes, s’il n’y avait aussi les moments merveilleux des créations, premières et reprises réussies.

Avec 128 représentations dans et hors les murs dans cette période, avec notamment des tournées en Australie, en Russie et aux Etats-Unis, 4 reprises et une première, le Ballet de Hambourg et ses 58 danseurs font partie des plus petites des grandes compagnies, et c’est la compagnie allemande la plus efficace. Chaque réduction affecte donc les fondements de notre travail, pour ne citer qu’un exemple de nos défis passés et à venir.

La danse signifie le mouvement et continuer signifie pour moi en tant que directeur artistique et chorégraphe se développer. Ce n’est qu’ainsi que le Ballet de Hambourg est devenu au fil des ans une des compagnies internationales les plus renommées, tournant aux quatre coins du monde, et que le Centre de Ballet s’est développé comme une pépinière créative. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons battre notre record de représentations, être une attraction pour les touristes venus du monde entier et des ambassadeurs de la culture de notre ville à l’étranger.

Je n’avais jamais pensé rester ici 40 années, qu’ici naîtrait une compagnie si merveilleuse, que j’y trouverais tant d’inspiration et que le public s’attacherait tellement à nous. Je veux donc fêter cet événement avec Hambourg et le monde.

Nous présenterons à partir d’aujourd’hui (ndt : la tribune a été publiée début juin) 23 de mes ballets, au nombre desquels « la Passion selon Saint Matthieu » à la cathédrale Saint-Michel. Nous accueillerons le Ballet de Bavière et les Ballets de Monte-Carlo, 2 compagnies qui ont été dirigés par d’anciens danseurs du Ballet de Hambourg. Pour conclure, nous célébrerons le Gala Nijinsky avec des extraits de 16 de mes ballets. C’est un record et je remercie tout le monde d’avoir rendu cela possible. En effet, je vis le plus intensément quand je travaille, et cela continuera dans le futur. C’est un privilège et peut-être la plus grande réussite d’un artiste.

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