Pour le traditionnel ballet classique de Noël, pas de conte merveilleux cette année, mais un spectacle enlevé, gorgé du soleil de l’Espagne, d’humour et de virtuosité, avec la reprise de la version Noureev de Don Quichotte. L’argument du ballet, très vaguement inspiré d’un épisode du roman éponyme de Cervantès, tient pour ainsi dire sur un timbre-poste.

Don Quichotte-15 décembre 2017-8

Représentation du 15 décembre 2017 – Myriam Ould-Braham et Karl Paquette

Après un prologue où Don Quichotte et Sancho Pança s’apprêtent à partir à l’aventure sur les routes d’Espagne, on se retrouve sur une place de Barcelone pour faire connaissance avec Kitri, la piquante fille de l’aubergiste Lorenzo, son soupirant, le barbier Basilio, et tous leurs amis. Ce premier acte va à 100 à l’heure avec une succession de morceaux de bravoure rythmée par la partition aux accents circassiens de Minkus : 2 variations pour chacun des solistes, un pas de deux, les solos d’Espada, le toréador, et de la danseuse de rue ou encore la coda, entrecoupés par quelques respirations humoristiques apportés par Gamache, le ridicule prétendant favorisé par le père de Kitri, et l’arrivée de Don Quichotte et de son « écuyer ». Dans le deuxième acte, Kitri et Basilio s’enfuient et consomment leur amour à l’ombre des moulins à vent, où ils sont surpris par une troupe de gitans qui vont leur prêter leur concours pour berner Lorenzo et Gamache, qui se sont lancés à leurs trousses. Don Quichotte et Sancho Pança sont également de la partie. Don Quichotte, jouant au preux chevalier voulant défendre les amoureux, fait plus de mal que de bien. Il se retrouve groggy et voit apparaître en songe la dame de ses pensées, Dulcinée (sous les traits de Kitri), qui vit au Royaume des Dryades : c’est le court acte blanc du ballet. Au troisième acte, on retrouve Kitri et Basilio dans une taverne enfumée avec leurs amis. A nouveau débusqués par Lorenzo et Gamache, un nième subterfuge de Basilio (il simule sa mort) lui permet de remporter la mise et de se marier avec Kitri, mariage qui constitue le dernier tableau avec son célèbre pas de deux.

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Pour avoir vu de nombreuses fois le ballet, la réussite de la soirée réside essentiellement dans la capacité du couple principal à exprimer une grande complicité, à jouer la comédie tout en surmontant les difficultés techniques de la chorégraphie. A la loterie des distributions, j’ai hérité du couple de la première, a priori le plus exaltant, Ludmila Pagliero et Mathias Heymann, à l’affiche pour la matinée « Rêve d’enfants » du 17 décembre, et du couple le plus attachant pour les afficionados du Ballet de l’Opéra de Paris, Myriam Ould-Braham et Karl Paquette, pour la soirée du 15 décembre.

Myriam Ould-Braham et Karl Paquette

Myriam Ould-Braham et Karl Paquette

On s’attend plutôt à voir Myriam Ould-Braham faire des étincelles sur scène avec Mathias Heymann,  mais pour jouer la pétillante Kitri qui n’est pas forcément son emploi naturel, il n’était finalement pas si incongru de l’associer à Karl Paquette, qui connaît son Basilio sur le bout des doigts. Il y a quelque chose d’émouvant à voir le danseur étoile aborder encore, à un an de sa retraite, avec  une passion qui semble intacte, ce rôle qui est sans doute l’un des plus lourds du répertoire sur le plan de la technique et de l’endurance physique. Alors, il compense par l’expérience et la science du placement un ballon qui s’est un peu étiolé, tandis que le partenariat est toujours au sommet. Patron du jeu sur le plateau, il offre l’écrin parfait pour que la technique ciselée de Myriam Ould-Braham puisse s’épanouir. J’ai toujours une affection  particulière pour le début du second acte et la fugue des deux amoureux à l’ombre des moulins. Myriam Ould-Braham est totalement dans son élément (bien plus à mon avis que dans la peau de la fille de gargotier effrontée du premier acte) et Karl Paquette y est parfait, la séduction incarnée. Le couple s’amuse, mais au fur et à mesure que l’intrigue avance, on sent poindre un soupçon de gravité dans les œillades échangées. Ce jeu de regards et le travail subtil sur les épaulements et les ports de bras fait mouche dans l’ultime pas de deux, qui dépasse ainsi le statut de simple virtuosité.

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Ludmila Pagliero et Mathias Heymann

Ludmila Pagliero apporte quelque chose de différent à sa Kitri. Plus volontaire, plus explosive.  C’est elle qui mène tout son petit monde à la baguette. Mathias Heymann est dans un rôle de demi – caractère qui lui convient finalement presque mieux que les princes en proie au spleen. Et il fait preuve d’une assurance dans la comédie qui fait plaisir à voir. Tous les deux semblent se jouer des difficultés de la chorégraphie, et le partenariat, souvent considéré comme le point faible de Mathias Heymann,  est tout simplement parfait  (qu’ils sont spectaculaires, ces portés à une main !). Ludmila Pagliero m’émeut systématiquement dans les actes blancs et elle ne fait pas exception à la règle ici.  Elle était déjà superbe il y a 5 ans : elle semble avoir mûri et encore perfectionné son art. Avec son partenaire, ils délivrent une des performances les plus accomplies que j’ai pu voir ces dernières saisons. Dommage que la chorégraphie de la  grande variation de Basilio au dernier acte ne soit pas un peu plus musicale. L’insertion de pirouettes entre les 4 tours arabesques assortis de changements de direction fait mal aux yeux : si Karl Paquette y était très à la peine, Mathias Heymann, pourtant doté de moyens techniques bien supérieurs et d’une facilité innée à danser le Noureev, fait ressortir les faiblesses de cette chorégraphie tarabiscotée.

Autour des deux couples, on apprécie le soin apporté au casting des seconds rôles, depuis les rôles à variation jusqu’aux rôles de pure pantomime.

Les premiers danseurs excellents sont distribués de façon ad hoc. La soirée du 15 décembre, j’ai adoré le toréador de Florian Magnenet  qui avait retrouvé l’éclat de la fin de l’ère Brigitte Lefèvre (où il était distribué comme une étoile). L’association avec la danseuse de rue incarnée par Hannah O’Neill fait mouche, notamment dans le fandango du 3ème acte, que je ne me rappelais pas si sensuel. Le 15, Valentine Colasante brillait dans la variation de la Demoiselle d’Honneur, et revêtait, le 17, le costume de la danseuse de rue aux côtés d’un Audric Bezard dans son emploi type du bel hidalgo.

Dorothée Gilbert est Cupidon

Dorothée Gilbert est Cupidon

Le tableau du rêve du royaume des Dryades est de toute beauté et la décision de confier le « petit » rôle de la reine des Dryades aux étoiles Alice Renavand (le 15) et Amandine Albisson (le 17) et celui de Cupidon à la sublime Dorothée Gilbert y est sans doute pour beaucoup, donnant à leurs apparitions un peu plus de profondeur que celle de figures techniques imposées.

Paris prouve qu’il peut proposer quelque chose qui s’approche du niveau de perfection dont le Bolchoï fait preuve à presque chaque captation cinématographique. Voilà qui devrait militer pour plus de place apportée dans les prochaines saisons aux grands classiques qui visiblement enchantent le public et les danseurs.

 

Représentation du 15 décembre
Représentation du 17 décembre
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