Le Monde Festival

L’Opéra de Paris (Garnier et Bastille) servait de cadre les 20 et 21 septembre au Festival initié par le Monde à l’occasion des 70 ans du journal. Une occasion de fermer les deux monuments au grand public en ce week-end de Journées du Patrimoine, diront les mauvaises langues.

En attendant, samedi après-midi, c’est Benjamin Millepied, le  directeur de la danse du Ballet de l’Opéra de Paris à compter du 1er novembre, qui a pris place dans le Grand Foyer du Palais Garnier à moitié rempli pour cinquante minutes d’un entretien mené par la spécialiste de la danse au Monde, Rosita Boisseau, et conclu par quelques questions du public.

Le nouveau directeur de la danse a fait preuve d’une certaine humilité tout en nous faisant partager sa vision de l’évolution de la danse classique et du ballet en général puis son projet pour l’Opéra de Paris. Les mots lui viennent facilement, se bousculent presque, l’élocution se ralentissant seulement lorsqu’il cherche l’équivalent français d’un mot anglais. Pas de plaisanterie ou de disgression à la manière d’une Brigitte Lefèvre, il va droit au but et à l’essentiel, un trait de caractère que nous avions déjà pu apprécier lors de la répétition de Daphnis et Chloé au printemps dernier.

Respect de l’histoire de la danse classique

Tout du long de cette conférence, Benjamin Millepied fait référence à l’histoire de son art : influence de l’école de danse française, ballet de cour, ballet romantique, Petipa, Diaghilev, Nijinski, Balanchine, Robbins, … On comprend qu’il souhaite s’inscrire dans le respect d’une certaine tradition.

Le Lac des Cygnes par Marius Petipa, souvent cité par Benjamin Millepied

Le Lac des Cygnes par Marius Petipa, souvent cité par Benjamin Millepied

Une vision moderne du ballet

Il regrette néanmoins qu’aujourd’hui  il y ait finalement assez peu de création de nouveaux ballets : ces « créations » sont souvent de nouvelles productions de ballets âgés de 2 siècles. Pourquoi ne pourrait-on ne pas créer au XXIème siècle des ballets sur un matériel neuf, en réunissant les plus grands artistes pour la musique, la scénographie, le livret comme ça était le cas dans la période romantique ou avec les ballets russes ? Il n’oublie pas au passage de complimenter son prédecesseur Brigitte Lefèvre sur sa capacité à initier des projets et à jouer le rôle de facilitateur ou d’impressario dans la création (comme cela a été le cas pour Daphnis et Chloé).

Il souhaite s’appuyer sur la superbe technique des danseurs parisiens pour créer le ballet d’aujourd’hui qui raconte une histoire de notre temps.

La troupe de l’Opéra de Paris

En tant que directeur de la troupe, il se sent d’abord une responsabilité d’éducation que ce soit à travers la formation de nouveaux chorégraphes, la formation des danseurs à l’histoire de la danse (trop peu développée à son goût apparemment) et la possibilité de sortir des murs de l’Opéra pour s’enrichir de nouvelles expériences et ramener cette connaissance au théâtre.

Il se félicite d’un climat français assez favorable à l’art chorégraphique : public plus jeune que la moyenne et très connaisseur, exposition médiatique, budget … Des conditions bien plus confortables que ce qu’il a pu connaître dans son expérience américaine, mais qui n’encouragent pas forcément la prise de risque.

Il découvre la hiérarchie si présente dans la troupe, à laquelle les danseurs sont habitués depuis qu’ils sont tout petits. Tous  ces grades dans le corps de ballet lui semblent même antinomiques avec l’idée d’une troupe travaillant ensemble. C’est un état de fait qui ne peut pas forcément être changé, admet-il : les danseurs y tiennent et il y a également la question du salaire associé au grade. Il évoque néanmoins la possibilité de supprimer un grade entre coryphée et premier danseur.

En terme d’organisation, tout doit être pensé en fonction de l’artistique. Pour les créations, il souhaiterait que les chorégraphes invités puissent s’investir davantage et plus longtemps dans la vie de la troupe. Fort de son expérience de danseur dans l’« usine à ballets » du New York City Ballet, il va revoir l’emploi du temps du danseur.

Il souhaite également donner les moyens aux artistes de se projeter davantage dans ce qu’ils vont faire après leur carrière. Il cite le jeune chorégraphe américain Justin Peck ou son propre cas comme exemples de reconversions.

Justin Peck - Andrea Mohin/The New York Times

Justin Peck – Andrea Mohin/The New York Times

Le métier de chorégraphe

Il évoque son projet d’école de chorégraphie. Il lui semble que le paysage chorégraphique actuel pourrait être beaucoup plus riche si de tels dispositifs existaient. Si l’on compare la chorégraphie à la composition musicale, un musicien ne devient pas compositeur du jour au lendemain, il fait des études pour cela, analyse les compositions d’autres. Comprendre comment on utilise l’espace, comment on peut se servir d’un groupe de danseurs,  étudier la musicalité, autant de compétences techniques cruciales à acquérir pour l’apprenti chorégraphe. Assez sévère, il juge que les trois-quart des chorégraphies que l’on voit aujourd’hui ne sont pas plus riches techniquement que ce que l’on peut voir dans un clip vidéo.

C’est par rapport à son parcours personnel qu’il a compris tout cela : la première fois qu’il a eu à disposition un groupe de 20 danseurs, c’est à l’Opéra de Paris.

L’Ecole de la Danse

Il évoque l’enseignement de l’Ecole de Danse, école de danse dépositaire du style français dont il prise la retenue et l’élégance. Pour lui, être un bon danseur c’est avoir une intelligence musicale, avoir quelque chose à dire, bien loin du spectaculaire et de la gymnastique récompensés par certains concours de danse.

Cette approche forte de l’Ecole de Danse française constitue pour lui un socle formidable. Rosita Boisseau essaie d’aborder la question de la diversité dans le corps de ballet, question plus ou moins bottée en touche par Benjamin Millepied : diversité oui, mais pas de quota. On pourra sourire de la naïveté du propos selon lequel le corps de ballet doit refléter la diversité des spectateurs de la salle (cette dernière « diversité » ne m’avait pas forcément sauté aux yeux). C’est l’occasion pour lui de parler du projet de la Gabriella Charter School à Los Angeles qui permet à des jeunes de milieux défavorisés d’apprendre la danse.

Ses débuts en tant que directeur

Il souhaite continuer une politique de créations, en s’inspirant de Brigitte Lefèvre. Il va essayer de faire venir des artistes qui ont quelque chose à offrir, qui permettent de faire progresser les danseurs lorsqu’ils arrivent en studio. Il revient sur son désir de ballets narratifs en trois actes, sans trop de pantomime, rappelle son admiration pour le travail de Justin Peck qui « fait des ballets abstraits qui racontent quand même quelque chose ».

Philippe Parreno au Palais de Tokyo

Philippe Parreno au Palais de Tokyo

Il dévoile quelques indices sur le programme d’ouverture de la saison 2015-2016. Il s’agirait d’un « triple bill » avec une création chorégraphiée par lui-même. Sur cette création, il sera accompagné par le plasticien Philippe Parreno (connu pour son film Zidane, un portrait du XXIe siècle mais aussi pour son exposition au Palais de Tokyo) et le compositeur Nico Muhly.

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