Ballet des fêtes de fin d’année par excellence, Casse-Noisette devance l’appel avec la version proposée par le Ballet National de Chine qui pose ses valises le temps des vacances d’automne à la Seine Musicale. Cette version datant du début des années 2000 ne cède pas aux sirènes d’une relecture, si chère aux chorégraphes occidentaux, et édulcore quelque peu les aspects les plus sombres et même la composante initiatique du conte d’Alexandre Dumas. Elle fait la part belle au merveilleux et à l’exaltation du bonheur familial, transposant le tout dans un foyer chinois au moment des vacances du Nouvel An Chinois.
La production, mise en scène et chorégraphiée par Zhao Ming, un acteur majeur de la danse sous toutes ses formes dans l’Empire du Milieu (à son palmarès notamment, un Lac des Cygnes mêlant acrobaties et danse classique), avec l’aide de Feng Yi, la directrice artistique de la compagnie au parcours plus classique, et Wang Yuan Yuan, une chorégraphe « contemporaine », bénéficie de décors et de costumes soignés, nécessaires à une grand spectacle populaire de qualité, et de l’accompagnement « live » de l’Orchestre Pasdeloup, dirigé par le chef d’orchestre résident du Ballet National de Chine. L’acoustique de la grande salle de la Seine Musicale me laisse toujours dubitative (j’ai trouvé à la partition de Tchaïkovski un rendu très métallique) et l’arène est décidément très impersonnelle (entre hangar aménagé et hall d’aéroport), mais la magie visuelle et l’évasion sont bien au rendez-vous.
Le découpage du ballet est assez fidèlement respecté, et l’on s’amuse de la transposition d’éléments bien connus de l’œuvre originale dans la culture populaire chinoise. L’armée de rats est maintenant composée de créatures aux masques de dragons verts, tandis que le Casse-Noisette qui a pris vie dans les rêves de la jeune Yuan Yuan alias Clara dirige une bande de tigres. La valse des flocons met en scène un vol de grues (oiseau symbolique de longévité pour les Chinois), Yuan Yuan se réincarnant elle-même en l’un de ses oiseaux. Le Royaume des Délices devient un Royaume de Porcelaine.
Côté chorégraphie, c’est un peu un doux mélange, la faute peut-être à l’association de 3 chorégraphes (sans compter les chorégraphies additionnelles), entre danses populaires, néo-classique grand public et un soupçon de gymnastique. Le mélange fonctionne plutôt bien dans la première partie avec ses ensembles joyeux mettant en scène la vie d’une communauté en plein préparatifs des fêtes, et Yuan Yuan enfant (Xie Huan) et son frère Tuan Tuan (Teng Jiankai) sont très attachants. Cela se gâte un peu avec un épisode du cauchemar de Yuan Yuan (pas très cauchemardesque dans cette version) qui manque de lisibilité, et surtout une apparition du Prince, qui, pour moi, doit être un des moments magiques du ballet et, ici, tombe un peu à plat. La valse des flocons version vol de grues ne manque par contre pas de poésie, même si on est assez loin de Petipa et Ivanov. Les défauts se trouvent amplifiés dans la deuxième partie. Si l’on excepte la chorégraphie de la danse arabe vraiment inspirée, la plupart des ensembles ne sont pas très bien en place, cela manque de synchronisation et le partenariat ne semble pas le point fort des danseurs masculins (ou est-ce ce qu’on leur donne à danser qui pose problème?). Les morceaux de bravoure des solistes ont été passés à la moulinette par les chorégraphes, et, ce ne sont pas les portés façon acrobaties qui atténueront la frustration, car l’on sent de belles dispositions chez le Prince (Wu Sicong). Déception également du côté de la soliste Wang Ye qui accumule les petites imprécisions et ne semble pas vivre grand-chose sur scène.
Ce Casse-Noisette version chinoise n’est donc pas destiné aux exégètes du ballet, mais cela reste un joli spectacle familial. Il suscite également une réflexion sur la façon dont, de nos jours, on peut s’approprier une œuvre du patrimoine universel. En France, cela donne la déconstruction façon Tcherniakov pour l’Opéra de Paris, presque interdite aux mineurs, et, en Chine, c’est une superproduction un peu naïve, mélangeant les styles, destinée au plus grand nombre.
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